Corbucci n’a jamais caché qu’il s’était inspiré de la trilogie de l’Homme sans nom, personnifié par Clint Eastwood, pour créer le personnage de Django, dont le nom est un hommage simple et direct à Django Reinhardt, dont le réalisateur italien était fan. Même statut de figure fantomatique, sans passé et sans attaches, expulsée sans ménagement d’un néant narratif – une colline boueuse au beau milieu d’un marais désertique -, même trame narrative bâtie autour de l’affrontement entre deux bandes rivales – ici des « foulards rouges » Sudistes alliés à l’armée mexicaine et une bande de pillards, également mexicains, sur le point de lancer la « Révolution » -, même aisance surnaturelle du héros pour décalquer à la vitesse de l’éclair tous ses ennemis… S’il n’étaient pas forcément les plus rentables, les westerns de Leone étaient définitivement les plus influents à leur époque, ne serait-ce que par le soin maniaque qu’apportait le cinéaste à chaque constituante de son œuvre.
Corbucci n’a jamais été un perfectionniste, comme l’avoue son ancien assistant réalisateur Ruggero Deodato (devenu depuis l’auteur culte de Cannibal Holocaust en 1979) dans l’unique bonus du DVD uncut réédité par Wild Side. N’arrivant que rarement avant midi sur les plateaux, Corbucci, paresseux, commencera le tournage du film sans réel scénario – c’est son frère Bruno qui rédigera un script complet -, tout juste avec une idée, reprise d’un manga de l’époque, celle de Django traînant derrière lui, partout où il se rendra, un mystérieux cercueil. Tourné à Rome et en Espagne, Django s’est donc construit jour après jour presque par accident, le film tirant par exemple son identité visuelle – terreuse, grisâtre et décharnée – des conditions climatiques du tournage. Le plateau romain où était bâti la petite ville abandonnée où débarque Django était en effet rendu boueux par la pluie, donnant des allures de purgatoire surréaliste à ce décor où le pistolero sèmera la mort.
Par sa cruauté – on y découpe des oreilles en s’esclaffant, Django se fait piétiner les mains par des chevaux, les femmes de petite vertu s’y font tirer dans le dos -, son surréalisme flirtant avec le fantastique, son contexte frontalier et bien sûr son héros mutique et mortellement efficace, Django préfigure quasiment toutes les déclinaisons futures d’un genre qui aura produit quantité de rejetons en une infime période de temps. On ne compte plus les westerns zapata – lire « révolutionnaires ») ou les avatars de Django – le nom sera repris sans vergogne par plus d’une trentaine d’imitateurs, avant que ne soit réalisée en 1986 la seule suite officielle (Django 2 : Le grand retour – Nello Rossati, 1986) – qui prendront la suite du film, signe que l’originalité de l’œuvre avait bel et bien marqué son temps. Avant que Tarantino ne se penche sur son cas, des cinéastes comme Takashi Miike (Sukiyaki Western Django, 2007) ou Robert Rodriguez (Desperado, 1995) ont d’ailleurs également, ces dernières années, payé leur dû à ce film-clé.
Car malgré le temps qui passe et abîme, malgré la simplicité roborative de l’histoire et des dialogues, Django continue de fasciner : le débutant Franco Nero s’y révèle magnétique, son regard bleu acier sur lequel s’attarde logiquement la caméra de Corbucci remplaçant d’une séquence à l’autre bien des mots. C’est un romantique – il veut venger sa femme -, un justicier – son ennemi juré est l’infâme major Jackson, qui s’amuse au tir aux pigeons avec ses prisonniers mexicains -, mais aussi une canaille imaginative, cachant une mitrailleuse dans son cercueil et volant au nez et à la barbe des bandits un tas d’or lors d’une séquence à suspense très réussie.
Comme Le Grand Silence et d’autres le confirmeront par la suite, Corbucci est malgré son désir de divertir un pessimiste dans l’âme : la richesse, la compagnie d’une femme qui l’aime, la rédemption, Django n’y aura pas droit. Sa quête se termine certes par la défaite de Jackson, mais dans ce cimetière d’où il repart en titubant, seule la mort accompagne le pistolero solitaire, alors que les paroles du thème immortel de Luis Bacalov – la seule chose que Tarantino a finalement repris du film, avec le nom du héros et Franco Nero – retentissent : "Django, have you always been alone" ?
En 1966, le mythe du cow-boy partant sous le soleil couchant une fois justice rendue prenait une toute autre couleur, celle d’une terre aride et ensanglantée sur laquelle rien ne repousserait. Tout d’un coup, John Wayne et ses chevauchées en Technicolor paraissaient bien loin.
Django
de Sergio Corbucci – DVD édité par Wild Side Video – Disponible depuis le 9 janvier 2013.