En droite ligne de l’esthétique suggestive qui désormais caractérise son cinéma (utilisation habile et méthodique des ombres et du son hors-champ, notamment), Dernière séance se distingue néanmoins par son origine moins personnelle. C’est en effet suite à une conversation de Laurent Achard et Sylvie Pialat autour du cinéma d’horreur que la productrice lui proposa de réaliser un film dans le cadre de la programmation « French Frayeur » de Canal Plus. Soit, comme on le devine, un film d’épouvante « à la française ». Particularité : à l’instar des plus fameux gialli et slasher movies ayant fait la cinéphilie bis, celui-ci serait réalisé avec un budget restreint et surtout un temps de tournage très limité (soit exactement vingt-et-un jours).

Profil type ?
Manque peut-être, en accompagnement de ses meurtres à la fois rituels et aléatoires (l’issue de ses conversations nocturnes avec telle ou telle femme n’est pas toujours certaine, ce qui est l’une des réelles qualités du film), la distanciation exquise faisant le charme d’un Dexter, pour qui tuer est bien davantage que la résultante d’un traumatisme infantile : un grand art, une vocation prolongeant comme naturellement son emploi officiel d’hématologue. Définitivement, et bien que la série ait perdu une grande part de sa saveur depuis quelques saisons, la figure de Dexter, par le biais des nombreuses subtilités de l’interprétation de Michael C. Hall, mais tout autant d’une mise en scène solaire, très aérée, aura su moderniser le concept du récit de serial killer.
Là où, à l’inverse, Dernière séance envisage encore le genre en droite ligne d’un attachement très clair à sa mythologie. C’est avant tout à un film « sur le cinéma », plus précisément l’amour mortifère pour le cinéma que nous avons affaire. Tout ici est à prendre et lire au tout premier degré. Si Sylvain est devenu gérant d’un cinéma, c’est parce que son histoire, son enfance est profondément liée à cet art, grande cérémonie à laquelle sa mère (incarnée par une Karole Rocher à la maternité décidément ingrate, si l’on se réfère à son personnage antipathique du dernier Guédiguian) sacrifia sa vie. Plus fort encore : le processus de projection des images sur grand écran s’affirme ici comme le lieu d’une pure jonction des pulsions de vie et de mort.

Friendly Fire
Filmé à l’ancienne, volontairement désuet, Dernière séance est donc un objet aussi saisissant par la précision et la (trop ?) grande maîtrise de sa mise en scène que déconcertant par la transparence constante de ses intentions. Bien que trop appliqué (éternel reproche fait au film de genre de chez nous de ne décidément pas parvenir à imprégner les règles dudit genre de la matière même de l’hexagone, ses rues, sa langue, son « essence »), jamais aucune séquence du film ne confine au ridicule. Parce que cette sagesse, cette transparence, cette linéarité s’affirment, de loin en loin, comme les vraies facettes de son « identité ».
Si la tenue vestimentaire de Sylvain, son flirt avec une jolie cliente (donc potentielle victime), sa collection d’oreilles, sa connaissance de chaque réplique du French Cancan de Jean Renoir invitent une seconde au rictus, la seconde d’après sera celle de l’acceptation toute bête des motifs d’une sincère proposition de réactualisation d’un cinéma du fétichisme pathologique (corollaire d’une mélancolie cinéphile sans garde fou). Prenant le projet au pied de la lettre, Laurent Achard honore donc avec élégance une valse périlleuse avec les clichés (tous les clichés), offrant avec cette Dernière séance une modeste mais très honnête réussite du genre.