Complices

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Ce premier long métrage évite (presque) tous les pièges du polar français. Une construction originale, des acteurs denses, nul jugement in fine : pas si mal !

Un polar de plus, se dit-on dès les premières images, une vague lassitude en tête tandis que l’on découvre le corps d’un jeune homme exsangue, repêché dans le Rhône. Un polar français, donc, s’apprête-ton à soupirer, avec son enquête toujours un peu triste et brumeuse, ses doutes et ses failles un rien mécaniques, voire ses blousons de cuir défraîchis, ses pistolets ostentatoires et ses "pin-pon" à deux tons. Et puis non.

D’abord, Gilbert Melki (l’inspecteur Cahan) porte un costume neutre et joue au ping-pong avec sa coéquipière (Emmanuelle Devos, à contre-emploi, dans un rôle qui manque malheureusement d’étoffe). C’est un premier indice : quelque chose de différent se trame. Ensuite, il y a cette façon assez calme, presque froide, de filmer ces policiers, et ce dans des tons monochromes : on est loin de l’esbroufe "cheap" qui prévaut souvent dans le film noir "made in France" (en même temps… Frédéric Mermoud, le réalisateur, est suisse). Enfin, il y a ce sentiment, insidieux mais durable, qu’une bonne partie de l’histoire se joue hors champ. Mais que l’on n’en saura rien, ou si peu. Délicat. Mystérieux.

Miroir inversé

Certes, confronter le spectateur à l’ordinaire d’une vie d’adulte solitaire, ça n’est pas très original au cinéma. Pas plus que de l’immerger dans le vide d’une enquête (double ration en terme de banalité, en somme). C’est probablement ce que se sont dit les scénaristes de Complices : l’univers des flics, volontairement minimaliste, évoluant dans la lenteur et le manque (d’amour, notamment), ne suscite l’intérêt, de fait, que parce qu’il s’oppose à celui des adolescents sur lesquels ils mènent l’enquête. Un monde qui, pour le coup, est périlleux, transgressif (le jeune homme retrouvé mort se prostituait en racolant sur internet), mais encore franchement romanesque (une histoire d’amour fusionnelle avec une très jeune femme, une autre jouant sur l’ambiguïté jalouse d’une amitié masculine). De ce côté-ci du récit, l’on évolue donc par paires, de péripéties en jouissances (elliptiques) : les couleurs sont plus chaudes, les plans moins larges, le rythme plus impulsif, plus imprévisible aussi.

Cet effet de miroir inversé est "la" bonne idée de ce premier long métrage (plus que son sujet "sociétal" en lui-même). Symboliquement et formellement. D’une part car, pour une fois, ce sont les adultes qui enquêtent sur leurs rejetons. Hantés par leur propre passé, irrésolu et fautif, ce qu’ils découvrent, à travers cette jeune génération censée être leur avenir, ce sont des codes et des désirs qui leur échappent. D’autre part car ce miroir, du strict point de vue de la narration, est pertinent de bout en bout. Entre ces quadras vieillissants, encombrés par leurs renoncements, et ces lycéens entretenant, par exemple, un rapport totalement décomplexé à leur corps, il y a une béance d’autant plus captivante qu’elle semble insurmontable.

Et pourtant, ces deux mondes sans cesse se frôlent, s’entrelacent et se répondent en écho. Et pourtant… ça n’est évidemment pas un hasard si le titre de ce polar à part est Complices. Bien sûr, il y a l’évidente passion des deux jeunes protagonistes (Nina Meurisse, solaire, entière, Cyril Descours, magnétique très simplement) : premier degré de cette complicité annoncée (le second étant d’ordre judiciaire). Mais il y a, également, l’ultime transgression que s’autorisent (enfin) les enquêteurs. Comme contaminés par l’univers de leurs cadets. Certes, le lâcher prise des "vieux" est un peu téléphoné (son explication est très sentimentale) : la résolution de l’intrigue, bien qu’audacieuse sur le fond est donc décevante sur la forme. Reste que ce film de genre – c’est un vrai polar, encore une fois – donne à voir des personnages denses comme rarement, qui tous, quelle que soit leur génération, effectuent un voyage intérieur troublant. Pas si mal pour un polar francophone !

Titre original : Complices

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Durée : 93 mn


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