Coffret Ultra Collector « La Dame de Shanghai »

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Jeu de dupes qui révèle un truchement cinématographique de magicien, « La Dame de Shanghai » est visible dans une nouvelle restauration à l’occasion de la sortie d’un beau coffret édité par Carlotta.

Tourné quelques années après les éblouissants Citizen Kane (1941) et La Splendeur des Anderson (1942), La Dame de Shanghai (1947), reste dans nos rétines comme un film noir vertigineux, aussi envoûtant que suffocant, porté par une Rita Hayworth vénéneuse qui ensorcelle son monde. Produit par Harry Cohn, alors patron de Columbia, remonté contre l’avis d’Orson Welles, et tourné sur le yacht d’Errol Flynn, le « Zaca », sous les tropiques mexicains, au moment du divorce des deux stars Welles/Hayworth, l’œuvre draine des conditions de production aussi romanesques qu’épineuses, qui n’ont pas fait d’ombre à cette pièce d’orfèvre éclatante, échec commercial en son temps et aujourd’hui reconnue à sa juste valeur cinématographique.

 « Un cinéma d’illusionniste »

C’est une magie de photogénie comme seul le cinéma en a le secret qui ouvre La Dame de Shanghai sur le personnage titre du film : tel un mirage, Elsa Bannister (Rita Hayworth) apparait dans une calèche, une robe blanche à pois décolletée sur son teint nacré, qui contraste avec l’obscurité de la nuit ambiante. Tout est beau dans l’empreinte que laisse la femme fatale sur le grain de la pellicule, sa chevelure blonde est soyeuse, ainsi que l’épiderme de sa peau, tout comme le sera son maillot de bain de satin noir et la robe de fourreau qui découpera sa silhouette en une courbe époustouflante. Le tableau princier est trop beau pour être vrai et cette prestidigitation est annoncée dès le début par la voix du narrateur du film, protagoniste à ses dépens de ce charme noir, un marin nommé Michael O’Hara, incarné par Orson Welles lui-même. « Certains sentent le danger, moi pas » dit sa voix-off d’emblée, tandis qu’il se dirige vers la calèche qui conduit Elsa. Dans ce long travelling introductif, les spectateur.trices peuvent être bercés mais pas dupes. L’œuvre, de bout en bout, est un « cinéma d’illusionniste » comme le qualifie Nicolas Saada dans le livret.

L’intrigue policière, qui plonge le marin O’Hara en malheureux témoin, acteur et victime d’un trio vénéneux, campé par Elsa Bannister, son mari Arthur Bannister (Everett Sloane) et son associé George Grisby (Glenn Anders) apparaît bien brouillonne et échevelée contrairement à l’atmosphère malsaine distillée par le cinéaste et la présence des acteurs. Le visage perpétuellement luisant des deux hommes reflète le brandy qui coule à flot sur le yacht de plaisance tandis qu’Elsa conserve toujours une impeccable facture. Alanguie sur le pont du bateau, dans une séquence de contre plongée en diagonale, une cigarette s’échange entre elle et George, dans un cadrage resserré où O’Hara assiste à la conversation poisseuse et grinçante d’Arthur Bannister. Aucun des membres manipulateurs du trio ne dévoile véritablement son jeu devant le marin, le laissant, tout comme le spectateur, devant une donnée inconnue malaisante quant à la suite des événements.

 

 

 

Ombres chinoises

La matière du long métrage fait par moments l’effet d’être délestée de ses noeuds scénaristiques, tant le film s’incarne avant tout par son découpage millimétré et ses effets plastiques. La Dame de Shanghai forme un audacieux damier aux étendues de couleurs brutes de noir et de blanc, de manière aussi équilibrée et géométrique que dans un tableau du peintre Frank Stella. « Les fameux plans-séquences, plutôt longs, ne cessent (…) d’alterner avec un montage-découpage très fragmentaire et haché «  kadéidoscopique », où la narration s’accélère – et « s’aplatit » – au point de se confondre, tout simplement, avec une suite d’images. » écrit Petr Kral (« Le Film comme labyrinthe, p.144 du livre). Et le film donne la sensation d’être un kaléidoscope qui tourne avec nos yeux sur les silhouettes comme découpées en ombres chinoises (devant les poissons de l’aquarium de San Francisco) des personnages et fragmentées jusque dans la magnifique séquence finale des miroirs (motif récurrent du cinéma de Welles) dans le Palais des glaces, qui est l’acmé du jeu de distorsion visuel auquel s’adonne le cinéaste, livrant en pâture les « requins qui finissent par se dévorer » qu’il met en scène. La Dame de Shanghai se vit comme un simulacre maléfique sorti d’un chapeau soyeux de magicien du cinéma.

Ce coffret ultra collector au visuel exclusif créé par Jonathan Burton contient, outre le film en nouvelle restauration 4K (dvd & blu-ray)  des suppléments autour de La Dame de Shanghai (« Conversation avec Peter Bogdanovich », « Simon Callow à propos de La Dame de Shanghai et « Henry Jaglom en tête à tête avec Orson Welles ») ainsi qu’un livre de 160 pages et 50 photos d’archives.

 

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Durée : 92 mn


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