Chloe

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Avec cette escapade hollywoodienne, Atom Egoyan se permet un film mineur et aguicheur, mais aussi professionnel, sensible et troublant. A l’image de son héroïne.

 Une femme mûrissante soupçonne son mari d’infidélité et engage une prostituée de luxe pour en avoir le cœur net. Catherine, David, Chloe (Julianne Moore, Liam Neeson, Amanda Seyfried) sont les ingrédients vendeurs de ce triangle amoureux au scénario on ne peut plus classique. A première vue, Chloe détonne dans la filmographie d’Atom Egoyan (Adoration , La Vérité nue…), cinéaste pour cinéphiles, habitué des projets complexes. Et pourtant, ce thriller érotique commercial – remake de Nathalie, d’Anne Fontaine (2003) – porte clairement l’empreinte du réalisateur : malgré une construction très linéaire (il aime les narrations morcelées), on reconnaît ses mouvements de caméra enveloppants qui confèrent à chaque lieu (ici, Toronto) une atmosphère sensuelle et mystérieuse, la finesse de sa direction d’acteurs… Mais on y retrouve surtout plusieurs de ses thèmes fétiches : l’impossible appréhension de la vérité, l’altération de la réalité par le fantasme…

Le film débute du point de vue de Catherine, convaincue que son mari ne la désire plus. Elle est gynécologue, considère le sexe comme une entreprise mécanique et se voit vieillir, flétrir, tandis que son époux, professeur de musicologie adulé par ses étudiant(e)s, gagne en sex-appeal avec l’âge. Evidemment, elle voit trouble : difficile d’imaginer une quasi quinquagénaire plus attirante.

Depuis son cabinet, Catherine voit défiler les clients d’une jeune femme à la beauté irréelle et se décide à l’aborder : sa mission sera de séduire David et de faire à l’épouse bafouée un compte-rendu détaillé de ses rendez-vous galants. Le film progresse au rythme des rencontres entre les deux femmes : autour d’un verre au Café Diplomatico, Chloé raconte, par le menu, les premiers regards, la saveur d’une caresse, le goût de son amant…

Malgré la souffrance viscérale qu’ils lui causent, Catherine devient accro à ces tête-à-tête malsains. Ils lui apprennent – croit-elle – la véritable intimité de l’homme qu’elle aime. Mais ils lui révèlent surtout ses propres désirs, profondément enfouis. Car les récits de cette jeune « escort », à peine adulte et pourtant si désirable, capable de tout incarner pour un homme (« son premier baiser ou sa dernière danse ») l’enflamment et l’aveuglent au point qu’elle en oublie de se méfier…

La blonde diaphane reprend alors les rênes de l’histoire et manipule cette mise en scène dont elle ne devait être qu’un pion. Car Chloe a d’autres idées en tête…  Elle sait que ses heures auprès de Catherine sont comptées (et tarifées) et que leur relation ne durera que tant qu’elle aura quoi attiser la curiosité de sa cliente. Alors telle une Shéhérazade en sursis, Chloe raconte, fabule, pour retarder le moment la séparation.

Egoyan a l’intelligence de cultiver l’ambiguïté plutôt que de se lancer dans l’analyse psychologique de ses personnages. Avec cette escapade hollywoodienne, il se permet un film mineur et aguicheur, mais aussi professionnel, sensible et troublant. A l’image de Chloe.

Titre original : Chloé

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Durée : 99 mn


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