Sur le site principal de la Cinémathèque Française, en plein cœur du parc de Bercy, deux étages différents se disputaient à qui mieux mieux les cinémas de douleur larvée, ceux qui parlent de crises, de deuils, et des projets gigantesques qu’on entreprend pour les calmer ou les cacher. Au cinquième, on sort de l’ascenseur et on accède directement à l’exposition Wes Anderson, organisée en ce moment et jusqu’au 27 juillet. Les costumes, les maquettes, même les figurines de stop-motion extrêmement détaillées du cinéaste texan, nous rappellent que son univers est très compartimentalisé, que les divers personnages y rangent et collectionnent des choses, y montent des pièces et des plans, y construisent des monuments, y entretiennent des hôtels et des restaurants, bref, y fuient en avant et tentent de faire sens d’un monde où ils souffrent de sentiments de perte et de rupture. L’anti-héros grand-industriel de son dernier film, The Phoenician Scheme, présenté à Cannes en compétition officielle, le 18 mai, et sorti sur tout le territoire dans la foulée, le 28, n’est qu’une itération de plus dans un long travelling latéral qui comprend tous les aventuriers et les beaux parleurs pleins de gouaille figés sur du papier de qualité, dans les photogrammes de l’exposition – Et ce panorama (qui va de Royal Tenenbaum à Henry Sugar, en passant par l’aquatique Steve Zissou et par le fantastique Mr. Fox) ne raconte jamais que cette émulsion : la motivation bouillonnante, effarante d’hommes, qui, selon l’adage humoristique bien connu sur Internet, feraient vraiment n’importe quoi plutôt que d’aller en thérapie.
Au premier, on finit de gravir les escaliers, on montre son ticket, et on entre dans la grande salle Henri Langlois. C’est dans cette dernière que s’est tenue, de mercredi dernier jusqu’au lundi de la Pentecôte, la rétrospective de la Semaine de la Critique, une programmation parallèle de Cannes, organisée par le SFCC (Syndicat Français de la Critique de Cinéma) et spécialement dédiée aux premiers et aux deuxièmes longs-métrages. Dans le passé, la Semaine a révélé des films aussi importants et novateurs qu’Amours chiennes, d’Alejandro Iñárritu (Grand prix en 2000), et que Take Shelter, de Jeff Nichols (Grand prix « Nespresso » en 2011). Cette année, elle révèle Imago, documentaire tchétchène-géorgien d’un réalisateur pris à parti entre les deux cultures, et Un fantôme utile, comédie noire, décalée et surnaturelle du thaïlandais Ratchapoom Boonbunchachoke. Imago, avec sa photographie douce et naturaliste, remplie de rais de lumière pénétrant au travers de feuilles d’arbre, et son rythme intime et affable, dicté par le montage paisible de Laurent Sénéchal (également responsables de ceux des films de Justine Triet et d’Arthur Harari), n’a à priori rien à voir avec la plastique de Wes Anderson. Pourtant, tel qu’il suit patiemment les discussions de son réalisateur avec des voisins, des membres de sa famille, alors que celui-ci projette de construire une maison qui lui ressemble, sur un petit lopin de vallée géorgienne qu’il a récupéré, en bordure des montagnes du Caucase, le film illustre bien le duel d’une force inarrêtable, l’imagination et l’incompromission, contre un objet inamovible, la fatalité.
Déni Oumar Pitsaev ne se sent pas tchétchène : ses parents se sont séparés quand il était enfant, et il n’a survécu au collège qu’en changeant son nom pour un pseudonyme plus purement « russe ». À l’approche de ses quarante ans, il ne voit son père tchétchène que très rarement, et a beaucoup de choses à lui reprocher, notamment une obsession primordiale avec le paraître, que son père associe à leur différence fondamentale d’éducation, d’un côté à l’autre de la frontière. De toute évidence, Pitsaev a l’impression d’être marginal. En tant qu’artiste et que créatif dans sa famille, il se sent en quelque sorte pointé (dans de nombreuses scènes, sa mère, sa belle-mère, des oncles, des tantes, parlent de lui comme d’un « rêveur », avec toute la tendresse et la distance que cela implique). En tant que tchétchène, il doit être gêné qu’on lui rappelle trop qu’il ne vit pas en Tchétchénie, qu’il ne relationne pas avec des Tchétchènes, qu’il ne se comporte pas comme un Tchétchène, et, peut-être, qu’il ne ressemble pas à un Tchétchène (en les voyant réuni dans le même plan, tous les deux, on se dit que père et fils n’ont pas tant d’airs de famille – le cadet est tout en finesses, alors que le vieillard est plus rond, plus bonhomme). Plus le documentaire avance, et plus on est sûrs qu’on y verra jamais de début de chantier : la conception de la maison est presque accessoire, dans le « récit », elle est surtout un prétexte pour Pitsaev à inviter son entourage à entrer dans un moment avec lui, à partager sa vision, et à le comprendre là où nous voudrions tous être compris par nos proches – c’est-à-dire, à notre place, là où on voudrait les mettre. C’est un outil pour cimenter des ponts. Aussi, il sera souvent déçu quand ceux-ci temporisent et le ménagent, leur perplexité face à ses idées, palpable sous leurs paroles.
The Chechnian Scheme.
Dans la filmographie de Wes Anderson, plusieurs personnages se soignent en empilant et en annexant, en creusant la terre et en taillant la roche de sorte à ce que le monde physique finisse par se conformer à leur réalité interne. Dans Imago, Pitsaev raconte une version plus évanescente de cette recherche, de cette quête, réajustée au microcosme de la phase embryonnaire d’un tel projet de bâti. « Imagine une maison » pourrait être la ligne organisatrice, la directive secrète derrière chaque plan opulent et élaboré signé Anderson. C’est aussi le champ de bataille mentale d’Imago, qui dure tout son long, dans la mesure où tous les intervenants présentés y savent qu’une demeure toute en hauteurs, destinée à avoir un aspect « bungalow » sous la neige, en hiver, c’est à la fois très peu de choses et beaucoup, dans un contexte où on n’en voit pas d’autres.
De son côté, Un fantôme utile entre et sort d’une fibre Andersonienne, s’amuse à marcher sur un fil tendu qui pourrait le lier au cinéaste américain. Avec sa forme de vrai faux film à sketches emboîté, à la mode de TheFrench Dispatch ou d’Asteroid City (Un fantôme utile se concentre en réalité sur trois spectres, aux histoires d’abord séparées : l’un d’eux hante des grosses machines, dans l’usine où il est mort, les deux autres possèdent des aspirateurs), le long-métrage partage avec le réalisateur de Rushmore un goût pour un humour pince-sans-rire et des affects impassibles. Dans le rôle de Suman, l’actrice Apasiri Nitibhon est aussi flaccide que les grands acteurs Andersoniens : Bruce Willis dans Moonrise Kingdom, Merryl Streep (et Isabelle Huppert, en VF) dans Fantastic Mr. Fox. Épuisée et dépassée, la femme d’âge mur, directrice de l’usine, retourne, par réflexe et résignation, à une espèce de flegme mi-déprimé, mi-caustique. C’est une cheffe de famille surmenée, qui essaie tant bien que mal de mener la barque. Dans le rôle de Nat, personnage qui pourrait le plus s’apparenter au « fantôme utile » singulier du titre, Davika Hoorne est presque entièrement faite de poses, de regards ciblés et soutenus, et de sa tenue. Pour réaccéder à une dignité humaine, dans ce film, il faut être statufié et inflexible : Nat le comprend, et elle essaie de transcender son rang de corps (de corps qui puait, de son vivant, même, selon Suman) et de devenir une créature constituée majoritairement de mise en scène, comme le sont les membres séniors de sa belle-famille, et comme le sont de nombreux personnages des films d’Anderson (notamment ceux joués par Matthieu Amalric).
La parenté n’est pas évidente : qui veut « faire du Wes » (le réalisateur Tom George, dans son Coup de théâtre de 2022, par exemple…) mime d’habitude son sens de la composition de cadres symétriques et centrés, sa charte visuelle volontairement artificielle et superficielle, propre à ses décors. Pas autre chose. Pourtant, elle est bien là, et elle est très plaisante : dans son film, Boonbunchachoke travaille énormément les couleurs, et fait de leurs dialogues l’un des nombreux va-et-vient stimulants de sa proposition de cinéma. (La teinte bordeaux accompagne l’évolution du couple formé par Nat et son mari/veuf, March. La couleur bleu marine se retrouve à la fois dans l’uniforme des usiniers et l’imposant costume à épaulette de Nat. Le vert de jade symbolise l’argent et la bonne naissance, c’est la nuance donnée à la belle-famille). Dans son ensemble, Un fantôme utile dure peut-être juste un peu trop longtemps pour son propre bien : il aurait dû se terminer 10 ou 15 minutes plus tôt. En l’état, le film tape et tape encore dans son ballon narratif jusqu’à ce que celui-ci se dégonfle. Malgré tout, il reste drôle et touchant, et conserve la force qu’on a quand on part d’un postulat simple et fertile. En tant que premier long-métrage thaïlandais sélectionné à la Semaine de la Critique, il ne démérite pas face aux autres cinéastes que celle-ci aurait pu ou « dû » découvrir : Posé dans un ring contre Nattawut Poonpiriya et son Bad Genius, Boonbunchachoke se défendrait (les deux films ont le même monteur : Chonlasit Upanigkit). De fait, il est facile de comprendre comment et pourquoi il a décroché le Grand Prix de cette édition.
C’est la distributrice française Jane Roger, qui est venue présenter le film, samedi dernier. Quand on feuillète le catalogue de sa boîte, JHR Films, on se rend compte qu’elle et son équipe ont un goût impeccable (Fotogenico, le Here de Bas Devos), et sont ou seront bientôt une force immanquable dans les salles d’arts et d’essai qui ne diffusent que des œuvres qu’on ne trouve nulle part ailleurs – du genre du MK2 Beaubourg, dans le 3ème, à deux pas du centre Pompidou.
Madres perpendiculares.
En dehors de la Cinémathèque : des touristes longent la gare de Bercy, fouillent dans leurs immenses sacs à dos, mangent des sandwichs, se brossent les dents, à la fontaine. Des groupes de fans de Billie Eilish jettent des toiles et des tentes, et se mettent déjà à patienter, espérant pouvoir glaner des places, deux jours avant son concert, à l’Accor Arena. Au dedans : l’équipe créative (Pauline Loquès, Théodore Pellerin, Lucie Baudinaud, Sandra da Fonseca) de Nino danse, dans le petit vestibule en bas de l’amphithéâtre – sans doute pour mettre à l’aise leur jeune acteur enfant, Balthazar Billaud. Les spectateurs s’installent, discutent entre eux, filment les interventions pré-projections avec leurs téléphones, les cachent quand les lumières se tamisent, et que des films comme Des preuves d’amour se lancent. Dans ce long-métrage, le deuxième d’Alice Douard, Ella Rumpf et Monia Chokri interprètent Céline et Nadia, un couple de lesbiennes qui attend la naissance de son premier bébé.
Des moments cocasses avec les enfants baby-sittés d’un ami, histoire de « s’entrainer », des engueulades de bar avec un relou homophobe ordinaire (Édouard Sulpice)… sont les jalons qui feront la matière du film, lequel balance, alors, entre des moments de comédie assez inoffensifs et inconséquents, comme ceux qu’on peut trouver dans les films réalisés par Anne Le Ny (qui joue ici la mère de Nadia), et une forme de dure légèreté, gagnée au prix d’une vraie et épaisse expérience de la vie, telle celle qu’on décèle dans ceux de Noémie Lvovsky (qui joue la mère de Céline). À son meilleur, Des preuves d’amour dépasse sa condition de comédie dramatique typiquement française, parfaitement, presque mathématiquement, partagée entre des vignettes humoristiques et des scènes émouvantes – et il se pose en excellent témoignage de l’énormité de l’apparition d’un nourrisson dans la vie d’une famille. Dans les scènes les plus touchantes et les plus drôles du film, les deux héroïnes réalisent et internalisent que rien ne sera plus jamais comme avant. Quand Céline prend bien mesure qu’il n’y a pas de marche arrière, et que cet état de fait est à la fois incroyablement inquiétant et merveilleux, on ressent avec elle toutes ses émotions contradictoires, remuées dans les eaux troubles de ses propres souvenirs d’enfance. Quand Nadia se montre triste de ne plus pouvoir travailler la nuit, et qu’elle pleure la perspective de la perte du gore urgentiste de ses gardes et de ses astreintes de dentiste, on rit de toutes nos forces et on la comprend : nos vies sont faites de tous petits plaisirs inexplicables et de minuscules importances. Qui sait ce qui va nous manquer quand on ne les aura plus, et qui sait quels nouveaux détails un bébé va nous apporter ?
La thématique de la maternité est revenue plusieurs fois, dans cette édition du festival de Cannes. Dans la compétition officielle, l’habituel film des frères Dardenne s’appelait Jeunes Mères, et offrait de se pencher, à la manière de Petites, sur la vie chorale vécue dans un centre d’aide pour jeunes mamans fragilisées ou peu accompagnées. Du côté d’Un Certain Regard, Love Me Tender abordait la question du droit à la maternité, puisqu’il s’intéressait à une mutter (Constance Debré dans la vraie vie, autrice de l’autobiographie adaptée – Vicky Krieps dans la fiction) qui, sortie du placard face à son ancien mari, se voyait retirer la garde de leur fils par ce dernier. Dans L’Intérêt d’Adam, film d’ouverture de la Semaine, Anamaria Vartolomei jouait elle aussi une jeune mère, laquelle refusait de quitter le chevet de son fils, à l’hôpital, alors qu’une juge avait sévèrement restreint ses droits de visite. Que faire de ce petit corpus qui est en train de prendre forme, de coaguler ? Que nous dit sur notre présent et notre avenir cette conjecture cinématographique, dans laquelle plusieurs artistes, indépendamment les unes des autres, ont choisi d’interroger ce qui fait d’une mère une mère, dans son rapport à son enfant, à son mari, à sa femme, à la société ? La récurrence de l’identité homosexuelle ou bisexuelle, entre Love Me Tender et Des preuves d’amour (deux titres qui invitent à exprimer, à matérialiser l’affection), nous met sur la voie d’une revendication LGBTQ : l’heure semble être venue de découpler la parentalité du patriarcat, de la retirer de seule la propriété des hommes, et des femmes qui aiment les hommes – d’inventer de nouvelles façons de fonder des familles. D’ailleurs, Des preuves d’amour se déroule en 2014, aux lendemains de la légalisation du mariage pour tous, et nous sommes prêts à parier qu’il a été écrit ou pensé à partir de la fin 2021, quand la PMA a été légalement autorisée pour toutes les femmes en France (les deux protagonistes du film, limitées par une époque lointaine et proche, celle d’il y a 10 ans, sont obligées de faire la leur au Danemark).
Mais il y a quelque chose en plus. À plusieurs reprises dans le film, Céline se refuse à taire le fait que, durant l’année que prendra son processus d’adoption de l’enfant que porte Nadia, sa position sera particulièrement vulnérable, puisqu’elle n’aura aucune priorité légale sur le bébé qu’elle sera en train d’élever, au cas où son épouse meure ou se sépare d’elle. Cette inquiétude flottante, tangible dans l’air, rappelle l’intrigue du film Le Roman de Jim (présenté à Cannes Première, l’an passé), dans lequel le personnage de Karim Leklou se mettait en couple avec une femme enceinte, se comportait comme un père pendant des années envers le garçon dont elle accouchait, mais n’avait aucun recours officiel pour faire valoir que son fils est son fils quand la situation finissait par changer. Plus que ce que modifient ou ne modifient pas à la vie d’un enfant les spécificités d’une famille homoparentale, ou les luttes pour « rester mère, femme, libre » (telle que le formulent, de façon sans doute un peu mièvre, les équipes de com’ de Love Me Tender), les films français récents, sur des parentalités en crise, nous invitent peut-être à repenser tout le modèle. Combien de couples et de personnes aimantes ne peuvent pas ou plus avoir d’enfants alors qu’ils en voudraient, et pour quelles raisons ?
Domina enceinte.
La parentalité, si elle était juste, devrait être donnée avec discernement, certes, mais aussi avec liberté, aux parents qui aiment le plus et le mieux un enfant spécifique. Elle ne devrait pas être distribuée avec l’arrière-goût responsabilisant et culpabilisant qu’on lui connaît, celui qui condamne des couples hétéro à prodiguer du care qu’ils ne veulent parfois pas prodiguer, celui qui enchaîne, au final, arbitrairement, des enfants à la bonne volonté d’adultes tirés au hasard par le destin biologique. Le cinéma français récent offre, comme le personnage de Lvovsky suggère que toutes les mères le font, dans Des preuves d’amour, d’imaginer des modèles à suivre et à devenir qu’on incarne en temps réel. Une tendance est sur le pas de nos portes : on le sait parce qu’elle a déjà son exemple foireux, son vilain petit canard.
Kika, réalisé par Alexe Poukine, raconte l’histoire du personnage éponyme (Manon Clavel), alors qu’elle s’est séparée du père de sa première fille, et voit mourir, pendant sa grossesse, le papa (Makita Samba) de la deuxième. Pour joindre les deux bouts, Kika élargit ses revenus en devenant « domina », et en humiliant sensuellement des hommes qui la payent à la fessée – équipant ainsi le film, sur le territoire bien gardé des Dardenne (le film est co-produit par des belges, se déroule à Bruxelles, et comporte de nombreux acteurs secondaires et figurants qui ne cachent pas leurs accents), d’un atout marketing massue qui fait défaut à ses derniers. Malheureusement, en fait de révolution sexuelle annoncée, Kika ne sera qu’un pétard mouillé. Ne se lançant dans son nouveau métier qu’à contre-cœur, et par besoin d’argent, le personnage traverse péniblement ses scènes avec un air d’embarras constant, et ce dernier ne se fanera jamais. Quand elle ordonne à des clients de lui lécher les bottes, Kika est gênée. Quand elle leur fouette le dos et les mets à genoux, elle a l’air de s’ennuyer. Kika se pose alors comme une fable ultime pour l’ère uberisée, les regards en coins constants de son héroïne, son retrait répété, réaffirmé, des signaux impossibles à ignorer que le cinéma social a enfin triomphé sur le thème de la prostitution : le commerce du sexe n’est plus libérateur, et il n’est plus horrible non plus, il est enfin devenu chiant, animé tel qu’il est ici par la génération The Office – des trentenaires sarcastiques et circonspects qui n’ont pas d’opinions qui ne soient pas blagueuses ou ironiques sur ce qu’ils font de leur vie.
Au générique, Poukine remercie plusieurs travailleuses du sexe, dont on imagine qu’elles ont joué un rôle de consultantes – hélas, excepté en tant que fournisseuses de répliques et d’avertissements, à mettre dans la bouche de personnages secondaires (« c’est pas aussi simple que ça », « c’est un vrai métier »), le public aura bien du mal à voir ce que leur collaboration a apporté au film. Dans Kika, c’est en effet aussi simple que ça. Le long-métrage persiste et signe : les prostituées sont des femmes, des mères comme les autres – elles aussi traversent leurs bullshit jobs en mode « pilote automatique ». On avait déjà vu des films bons (L’Apollonide), moyens (La Maison) et mauvais (Une femme du monde et le court-métrage qui l’a inspiré, La Contre-Allée) sur le sujet – voici le premier film qui se montre indifférent à son égard, et qui attend sa prochaine pause clopes. Ne manquent plus que les fontaines à eau et les machines à café.
En outre, le cinéma de genre s’est fait assez discret, dans la branche française de la sélection, cette année. Aucun film de la cuvée 2025, ne ressemble à Animale, film de clôture 2024, ou à Vincent doit mourir, séance spéciale 2023. Hasard du calendrier des sorties ? Plutôt « recession indicator » : même Martin Jauvat a dit bye bye aux « zovnis » qu’il avait récupéré des clips du rappeur Jul, dans son deuxième long-métrage, Baise-en-ville. Délesté de ses allusions science-fictives génialement débiles, le cinéma de Jauvat ressemble quand même beaucoup aux autres films « de traîne » en sélection : Nino (qui met également en scène William Lebghil) et No Skate (de son ami Guil Sela).