Rien ne dit que le cinéma, en tant que média de masse sans cesse alimenté en productions du monde entier, désormais visibles par tous, en temps réel, ne doit pas son salut d’entreprise « d’entertainment » (qu’on pourrait pour le coup traduire, non pas par « divertissement », mais par « émerveillement ») qu’à des cinéastes frondeurs et inspirés, capables de générer le fameux buzz uniquement par la force d’une idée de génie, une vraie, et de la mener à son terme. Pas la réunion de deux acteurs bankable à placarder sur une affiche blanchâtre, ou la réactualisation d’une vieille histoire mieux contée à une époque pré-télévisuelle oubliée, non. Une vraie illumination, tenant autant du pari que de la réalisation d’un défi visuel propre à exciter l’ordinateur à fantasmes du cinéphile blasé et du spectateur en soif d’inédit.
Comme le prochain Rubber de Quentin Dupieux, Buried repose sur une idée de cinéma complètement folle, tellement casse-gueule et excitante narrativement qu’on se demande comment personne n’y a pensé avant : enfermer un personnage, et un seul, entre quatre planches, six pieds sous terre. Il ne sait pas ce qu’il fait là, l’oxygène va rapidement manquer, il faut qu’il sorte, vite. Point barre. Oh, et ce ne sera pas un court-métrage, aussi. Le huis-clos ultime durera 90 bonnes minutes, sans que jamais un autre décor n’apparaisse à l’écran.
Victime ou dommage collatéral ?
Bien sûr, on pourra rappeler que Quentin Tarantino lui-même avait par deux fois illustré cette phobie terrifiante d’être enterré vivant, d’abord avec son double épisode spécial des Experts, où il s’agissait de retrouver un des membres de l’équipe des CSI piégé dans un cercueil hi-tech ; puis, lors d’une séquence très EC Comics de Kill Bill volume 2, lorsque la Mariée devait s’extraire de la tombe dans laquelle le débonnaire Bud l’avait envoyée. Buried est bel et bien une extension sans pitié de cette séquence conceptuelle, qui donne encore des cauchemars aux claustrophobes patentés.
Le patient involontaire de ce projet expérimental est joué ici par Ryan Reynolds, bellâtre musculeux à la filmographie aberrante (de Blade 3 à Wolverine, en passant par Amityville, on ne compte plus les déroutes artistiques où le mari de Scarlet Johansson a promené son regard somnanbulique) qui se découvre sans aucun doute dans ce film de l’Espagnol Rodrigo Cortés un véritable talent d’acteur. Il en fallait pour entrer dans la peau de Paul, entrepreneur Américain, enseveli quelque part en Irak comme otage, alors « [qu’il n’a] rien à voir avec la guerre ». Tel est le cadre posé par le jeune metteur en scène, dont c’est le premier long : celui d’un film qui, de manière surprenante, entre dans la même catégorie que les films de guerre politiques dénonciateurs comme Green Zone ou Syriana. Ici, c’est l’hypocrisie du gouvernement américain et des corporations industrielles qui est montrée du doigt, tandis que Paul et son fidèle Blackberry multiplient les coups de fils désespérés pour sortir de ce guêpier.
Enfermé dans un cauchemar
La charge est efficace et plutôt originale en soi, mais elle n’éclipse jamais, forcément, la puissance de l’idée-film de Cortés : tous les artifices de montage, d’échelles de plans, de sources de lumière ou bien sûr d’environnement sonore sont ici utilisés pour donner à ce concept cadenassé l’allure d’un thriller haletant. On touche même à l’illustration quasi-fantastique de l’état mental de Paul, lorsque la caméra s’élève sans fin au-dessus de son cercueil, alors qu’il plonge dans un désespoir sans fin. Intelligemment, le rythme et le style même du film s’adaptent à son personnage-clé, un Américain moyen qui refuse de se laisser dominer par la peur, quand bien même elle se matérialise par ce sable qui coule, petit à petit, entre les planches. On se sent comme piégé dans un de ces cauchemars d’apparence illogique et qui prennent bientôt, de manière étourdissante, le visage d’une réalité encore plus traumatisante.
Jouissif, Buried l’est forcément, car Cortés va au bout du défi qu’il s’est fixé, maintient le suspense grâce à des dialogues bien sentis et une interprétation (de Reynolds mais aussi du casting « vocal ») habitée, et habille ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style vain et abscons d’un discours d’actualité lui donnant toute sa légitimité. Mais le résultat n’est pas sans défauts : on sent bien, ici et là, les artifices narratifs mis en place pour allonger la durée du film (hello, le serpent !) ; le parti-pris du réalisme fait qu’avec son briquet et son smartphone, Paul n’a que peu de sources de lumière pour « éclairer » le spectateur : impossible de nier qu’on n’y voit pas grand-chose à certains moments, et que le montage s’excite un peu trop pour nous faciliter la tâche. Mais cela fait partie du jeu. Une partie inédite, grandeur nature, excitante et ô combien stimulante pour peu qu’on se laisse prendre à suivre le destin de Paul et à espérer que le bougre s’en sorte. Une expérience purement cinématographique, à laquelle il serait dommage de ne pas participer en ces temps tristement peu imaginatifs.