L’apogée du néoréalisme
Même si les historiens du cinéma ne sont pas vraiment d’accord entre eux pour dater la fin de ce qu’on a appelé le néoréalisme italien, on pourrait presque affirmer que Bellissima en 1951 et Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica trois ans plus tôt représentent les moments de son acmé. Luchino Visconti, tout comme Vittorio de Sica, sont les maîtres du néoréalisme, tout comme bien sûr Roberto Rossellini et Federico Fellini qui fut son assistant à ses débuts, et qu’à eux quatre ils vont présider aux destinées de ce mouvement cinématographique, aidé du scénariste Cesare Zavattini. Luchino Visconti en 1943 avait déjà voulu engager Anna Magnani pour son Ossessione mais la production avait refusé car elle était enceinte et c’est alors Roberto Rossellini qui lancera deux ans plus tard sa carrière en lui offrant d’éblouir son film Rome ville ouverte, lui permettant de devenir la Louve reconnue à l’international. C’est alors qu’elle est maintenant célèbre que Luchino Visconti fait appel à elle pour le rôle de la mère dans Bellissima en 1951, riche idée puisqu’elle y est magnifique et bouleversante, telle que Pier Paolo Pasolini la voudra pour qu’elle incarne pour lui à nouveau une mère de tragédie dans Mamma Roma en 1962.
La revanche de la Magnani
Sur un scénario de Cesare Zavattini, mais avec aussi des dialogues de Suso Cecchi D’Amico (avec laquelle Visconti travaillera toute sa carrière), Francesco Rosi et Luchino Visconti, ce troisième film du prince Visconti est une réussite, celle de son talent incontestable mais aussi celle du néoréalisme puisque le réalisateur a l’idée de transformer le personnage de Maddalena – au départ une petite bourgeoise – en femme du peuple et, bien sûr, Anna Magnani y excellera. Selon Le Monde, Bellissima représente la revanche de la Magnani, elle y est la vedette. Elle y est surtout parfaitement émouvante et Les films du Camélia a eu une excellente idée en sortant cette année le film en salles, avec une restauration en 4K parce qu’il est vrai que ce film est encore très actuel. On pourrait même oser dire qu’il n’a pas pris une ride car Visconti et ses scénaristes ont fait œuvre de visionnaires en traitant frontalement, alors qu’ils faisaient partie du sérail, de l’usine à rêve du cinéma. En l’occurrence puisque nous sommes à Rome, Cinecittà, la ville du cinéma, voulue par Mussolini et créée avant la guerre pour y tourner des bluettes et des films de propagande. D’ailleurs c’est ici Alessandro Blasetti qui y tourne son nouveau film, lui qui travailla pour le régime fasciste notamment avec Le rappel de la terre en 1930 et qui devint dès les années 40 un des pionniers lui aussi du néoréalisme avec Quatre pas dans les nuages en 1942.
Système d’exploitation
Dans Bellissima, on le voit en personne sur le plateau à la recherche d’une petite fille pour le rôle principal de son nouveau film. Maddalena y verra au début comme une manière d’utiliser sa fillette pour sortir de la pauvreté mais, peu à peu, elle comprendra aussi que ce système est frère de l’exploitation et du mépris de classe. On pourrait y voir maintenant, à la place du cinéma qui fut longtemps une usine à rêve, la télévision qui a érigé ce principe de domination et d’exploitation de l’être humain à travers ce qu’on continue d’appeler la télé-réalité et dont Matteo Garrone a bien montré l’horreur à travers le calvaire d’une famille napolitaine dans Reality en 2012. Pour Olivier Père, directeur général d’ARTE France Cinéma et directeur de l’Unité Cinéma d’ARTE France, « Bellissima demeure un film à part dans l’œuvre de Visconti. C’est l’unique fois que le cinéaste italien ne s’inspire pas de la littérature, de la musique ou du théâtre. Avec ce film en apparence simple et improvisé, Visconti entend ainsi se confronter directement avec les principes du néo-réalisme, pour mieux en démontrer les limites. Bellissima n’est pas non plus, malgré les apparences, une satire ironique des milieux du cinéma. La dénonciation de Visconti est bien plus profonde. Elle vise tous les systèmes d’exploitation du peuple, spolié de ses rêves et trahi par une société capitaliste qui vénère un nouveau veau d’or, celui du spectacle, de l’illusion et de la célébrité. » Nous y sommes rendus en effet, et plus que jamais, notamment surtout grâce à un autre Italien, Berlusconi !