Assurance sur la mort (Double Indemnity – Billy Wilder, 1944)

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<< Oui je l´ai tué. Je l´ai tué pour le fric et pour une femme. Je n´ai pas eu le fric et je n´ai pas eu la femme. C´est réussi non ? >>

Ainsi débute, en ouverture du film, le témoignage de Walter Neff, le personnage principal d’Assurance sur la mort (Double Indemnity). Adaptant James M. Cain (Le facteur sonne toujours deux fois) qui s’était inspiré d’un fait divers criminel authentique, le travail de Wilder aidé au scénario par le célèbre romancier Raymond Chandler, va donner naissance à un film noir d’une étrange intensité, entre érotisme et violence. Faisant du thème de la fatalité et d’une amoralité glaciale crispante les ressorts principaux de son intrigue, ce troisième film du cinéaste est au coeur de ce genre devenu depuis, majeur.
L’histoire, un flash-back qui finira par rattraper le temps de la diégèse, se fond dans la complexité et l’intensité d’une fausse relation amoureuse dont les bases ne sont régies que par le mensonge et la trahison. Phyllis Dietrichson, la femme d’un riche homme d’affaire, use de ses charmes pour s’accaparer les services de Walter Neff, un courtier en assurance, afin qu’il souscrive une assurance vie à son mari sans que ce dernier n’en soit informé. Immédiatement épris de la ravissante jeune femme avec laquelle il entreprend une relation, le courtier devenu son complice, cédera ensuite à son désir d’éliminer son mari.

L’une des réussites majeures de ce film porte sur la relation qui s’établit entre Phyllis et Walter. Le jeu sous-jacent qui se trame entre cette mante religieuse, dont on devine les intentions cachées et notre assureur, pourtant futé, mais qui se complaît dans l’amour aveugle qu’il lui voue, stimule un trouble constant chez le spectateur. On se demande ce qui nourrit cet attachement irraisonné envers elle. Car sa perversité, ses intentions et actes criminels, comme affranchis de toute culpabilité ou de tout remord, en font un personnage qui nous glisse constamment entre les doigts. Jusqu’à quel point cette femme est-elle mauvaise ? Jusqu’à quel point Walter est-il prêt à la suivre ? Parfaitement orchestrée, la tension que suscitent ces interrogations va crescendo tout au long du film, et le cas de Phyllis attire d’autant plus notre curiosité lorsque sa belle-fille, Lola, nous fait de troublantes révélations sur son passé. Alors qui est-elle vraiment ?

Le spectateur se pose autant la question que Walter, lui, voit sa vie chamboulée par les événements dans lesquels il s’est engagé malgré lui. Pourtant, le récit en flash-back nous avertit bien de la tournure de l’histoire et du personnage jouée par la scandaleuse Phyllis. Mais la narration, tout comme Walter, est hypnotisée par le pouvoir enchanteur de la belle. Elle est une femme fatale. Entourée d’une mystérieuse aura liée à son impénétrabilité, elle rend son personnage unique face aux autres femmes fatales du genre. Elle entretient une constante interrogation à son sujet qui ne fait que renforcer le charme troublant et charismatique qui en fait sa marque. Et puis comme les autres, son personnage est le pivot de l’intrigue, elle est l’élément déclencheur d’une situation dont elle prend, initialement en tous cas, le contrôle. Elle manipule son sujet.

La mise en scène, devenue célèbre, de sa première apparition face à Walter est à ce titre très parlant. L’accueillant à demi nue du haut de ses escaliers, elle le domine et le séduit déjà. Mais la suite devient plus explicite encore. Conduit dans le salon où les ombres portées des stores envahissent l’écran, notre homme est comme prisonnier d’une toile d’araignée dont il ne pourra plus jamais se défaire. Phyllis, cette veuve noire, exerce déjà son emprise sur lui comme sur l’histoire. Walter est fait et l’intrigue va aussitôt prendre corps.

Sommet du genre noir, Assurance sur la mort développe et nourrit en parallèle au thème de la femme fatale d’autres composantes parmi les plus fondamentales d’un genre qui n’en est alors qu’à ses premiers pas : une certaine complaisance mélancolique envers des destins tragiques, une esthétique noire et blanc très contrastée faisant en cela référence à l’expressionnisme allemand, une violence physique et sentimentale, l’ambivalence morale de ses personnages… Attirant aujourd’hui plus les faveurs d’un public « cinéphilique », le film n’en est pas moins, purement et simplement, un objet cinématographique d’une efficacité redoutable. Son histoire, ses thématiques ou encore ses formes plastiques oscillant constamment entre étrangeté et facination, inquiétude et séduction sont autant d’éléments en mesure de captiver et d’intéresser tout spectateur quel qu’il soit.

Titre original : Double Indemnity

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Durée : 106 mn


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