Anna Karénine

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Adaptation monumentale de l´oeuvre culte de Tolstoï, l' »Anna Karénine » de Joe Wright interprétée par Keira Knightley est flamboyante et ambitieuse.

Joe Wright est un habitué des adaptations littéraires : Orgueil et préjugés (2006) d’après Jane Austen,  Reviens-moi (2008) d’après Ian McEwan. Il s’attaque ici au roman fleuve russe, à l’immense travail de Léon Tolstoï Anna Karénine. Un pari orgueilleux, voire prétentieux, que Joe Wright aborde en respectant les réalisateurs qui s’y sont déjà frottés (dont Julien Duvivier en 1948 et Bernard Rose en 1997) et en y apportant sa vision flamboyante du cinéma. Alors que ces deux premières adaptations étaient simplement fidèles et minutieusement travaillées, sa proposition est ici audacieuse, lumineuse et follement réussie. Il offre ainsi une somptueuse peau neuve à l’œuvre majeure de Tolstoï et rend à l’une des héroïnes russes les plus célèbres son élégance et sa majesté.

La mise en scène de Joe Wright et le scénario de Tom Stoppard, dramaturge déjà scénariste de Shakespeare in Love (John Madden, 1998) et Brazil (Terry Gilliam, 1994), sont intimement liés. Le premier comble les manques du second. Car le challenge de l’adaptation d’Anna Karénine est de rendre compte de la complexité de l’œuvre de Tolstoï. L’écrivain ne contait pas que l’histoire d’amour passionnelle et adultère la plus célèbre du XIXe siècle, il décryptait également la haute société russe de l’époque. Cette partie narrative de l’œuvre, effacée au profit de l’exploration de l’amour sous toutes ses formes – maternel, infantile, charnel, passionnel, destructeur – est comblée par une mise en abyme du théâtre, ce théâtre qui fut considéré par Tolstoï comme le lieu des jeux sociaux par excellence, où s’exprimaient les vanités et où chacun portait un masque. En plaçant sa caméra dans un théâtre qu’il transforme, triture, fait évoluer grâce à un montage minutieux en décor réel, Joe Wright rend compte de la société russe telle que la connaissait Tolstoï. Pour cela, il a recours à des chorégraphies millimétrées et utilise les différents espaces du théâtre comme lieux d’identification sociale. La fosse et la scène deviennent tour à tour une patinoire, un champ de course ou une piste de bal, le foyer l’orchestre et la mezzanine les strates réservées aux hauts échelons de la société, les coulisses les quartiers d’un cabaret malfamé.

L’utilisation du théâtre permet également à Joe Wright d’inscrire son récit dans une unité narrative irréelle, nouant entre elles les différentes intrigues amoureuses : la passion de Karénine et Vronski, l’amour rationnel et timide de Kity et Lévine. Rapidement, réalité et imaginaire se confondent en une valse effrénée, qui mise en musique par l’italien Dario Marianelli, définit le tempo de l’envolée émotionnelle et dramatique du film. Tout dans l’Anna Karénine de Wright est opulence : les costumes haute couture, les décors oniriques, la lumière éblouissante et délicate (la photographie de Seamus McGarvey, fidèle collaborateur de Joe Wright, est époustouflante), la musique enivrante, le romanesque grandiloquent… Certaines scènes du film sont à couper le souffle, celle du bal donnant ainsi l’impression d’une boîte à musique tournoyante qui au fur et à mesure isole le couple Karénine/Vronski : c’est la rencontre, déjà emplie de tension amoureuse, grâce notamment aux fabuleux jeux de mains chorégraphiés par Sidi Larbi Cherkaoui. Dans cette adaptation, le moindre détail est travaillé, exacerbé. Et ce pointillisme, cette sophistication voire cette quête de perfection, qui pourra déplaire à une partie de la critique, assure au film sa grandeur et sa réussite.

Reste l’interprétation de Keira Knightley, qui incarne une Anna moderne, éprise de liberté et étincelante. Son jeu apporte toutes les nuances que requiert ce personnage tragique : de l’amour maternel à l’amour destructeur en passant par la naïveté, la passion, la souffrance… Elle donne la réplique à un Jude Law (Alexei Alexandrovitch Karénine) méconnaissable car utilisé à contre-emploi et au jeune et décontracté Aaron Taylor-Johnson (Vronski). L’Anna Karénine de Joe Wright et Tom Stoppard est un film trop riche, qui aurait mérité un traitement plus appliqué et une conclusion plus brutale, capable de porter à son paroxysme la tension dramatique. C’est peut-être le seul bémol du film, adaptation d’un équilibre parfait entre théâtre et cinéma, réalité et imaginaire, modernité et classicisme, démonstration de cinéma impressionnante réinventant l’œuvre culte de Tolstoï.

Titre original : Anna Karenina

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Durée : 131 mn


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