Amarcord

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Le déroulement narratif d’Amarcord (1973), à l’instar des précédentes réalisations de Fellini (comme Fellini Roma, 1972) se fonde sur une succession de saynètes évoquant, durant les années 1930, les aventures de Titta Biondi (Bruno Zanin), un adolescent de Borgo, ville balnéaire dont la représentation s’inspire certainement de Rimini, la cité du cinéaste. Les scènes s’enchaînent […]

Le déroulement narratif d’Amarcord (1973), à l’instar des précédentes réalisations de Fellini (comme Fellini Roma, 1972) se fonde sur une succession de saynètes évoquant, durant les années 1930, les aventures de Titta Biondi (Bruno Zanin), un adolescent de Borgo, ville balnéaire dont la représentation s’inspire certainement de Rimini, la cité du cinéaste. Les scènes s’enchaînent ainsi dans un tourbillon d’images potaches, typiques de l’imagination débordante de Fellini. Le montage dynamique, qui alterne des plans assez courts, accentue cet effet de spirale dans laquelle est entraîné le spectateur. Les protagonistes s’adressent fréquemment à ce dernier, pour lui expliquer les coutumes ou l’histoire de la ville. Fellini joue ainsi sur plusieurs niveaux narratifs en donnant à son film l’allure d’un reportage fictionnel.

« Le sujet d’Amarcord – disait Pascal Bonitzer – c’est la jouissance. Mais l’inscrivant dans la fiction d’une mémoire, [Fellini] l’historicise, il la date » (« Mémoire de l’œil (Amarcord) », in Cahiers du cinéma, n°251-252). Le film engage une réflexion sur la réactualisation d’un passé qui se désagrège inéluctablement. Aussi, Fellini ne délivre-t-il pas une reconstitution historique rigoureuse. Il préfère abattre les barrières de l’histoire, pour rapprocher le passé du présent de la narration. Pour Fellini, l’acte de remémoration vise à établir une continuité temporelle plutôt qu’une césure historique. Dans la salle de classe, c’est tout juste si on retrouve le portrait de Mussolini accroché au mur. C’est l’idée que soulignent les critiques de l’époque. Pour Jean-Louis Bory : « L’histoire, que la mémoire fellinienne ne peut ni ne veut ignorer, s’écarte de tout réalisme historique (comme elle s’en éloignait dans le Satyricon), pour devenir cette confidence vivante mais sarcastique et désabusée » (« La grotte aux trésors de Federico le Grand », in Le Nouvel Observateur, n°495).

Les fondus noirs, qui ponctuent les scènes d’Amarcord, donnent l’impression que les images surgissent de la mémoire du cinéaste tels des flashs. Certains d’entres eux sont éclatants de luminosité, comme la séquence dans laquelle Fellini filme les « manines » annonçant la venue du printemps. D’autres sont au contraire plus sombres. Citons la scène où le grand-père (Giuseppe Ianigro) s’égard dans une brume épaisse qui l’empêche de retrouver sa maison. Fellini met au jour les zones d’ombre et de lumière de son enfance. Chris Wiegand souligne que « Nombre de scènes pittoresques d’Amarcord rappellent la propre jeunesse de Fellini. On sait qu’il multipliait les farces à l’école, espionnait les banquets et les bals donnés au Grand Hôtel et attendait avec impatience, sur le parvis de l’église, la sortie des femmes dotées des plus gros derrières de la ville » (in Federico Fellini, Paris, Taschen, 2003). Le terme « Amarcord » provient du dialecte romagnol et signifie « Je me souviens ». Pour certains auteurs, tel que Wiegand, Fellini avait « apparemment exorcisé une fois pour toutes les démons de son enfance » (in Federico Fellini, Paris, Taschen, 2003). De ce point de vue, la fonction de l’œuvre serait d’évacuer le passé, tout comme la population de Borgo se rassemble sur la place pour brûler l’effigie de l’hiver, et fêter l’avènement de la nouvelle saison.

Le réalisateur est néanmoins intervenu dans la presse pour limiter l’interprétation autobiographique de son film. Pour lui, il faut oublier la signification d’Amarcord : « Parce que, dans son mystère, il ne traduit rien d’autre que le sentiment qui caractérise tout le film : un sentiment funèbre d’isolement, de rêve, de torpeur, d’ignorance »[6]. Le titre du film renverrait dès lors à une pléiade de souvenirs qui ne souligne aucune complaisance nostalgique, contrairement à ce que pense Lorenzo Codelli : « Incertain, incapable de choisir entre le détachement critique et la participation affectueuse dans sa reconstitution de l’époque, Fellini a congelé ses visions rétrospectives aiguës en un discours qui d’historique n’a même plus les racines trop exploitées de la mémoire » (Cf. Federico Fellini, in Positif, n°158). On peut en fait penser que Fellini, réalisateur iconoclaste, ne cherche pas à sacraliser cette mémoire qu’il invoque. Le réalisateur fuit toute forme de pathos en construisant les segments d’Amarcord sur le registre de la comédie. Il n’hésite donc pas à se moquer de l’érudition solennelle de l’avocat, gardien de la mémoire et de l’histoire de la ville.

Fellini évoque la violence fasciste lorsque les chemises noires entendent un violon jouer l’Internationale. La venue des chemises noires s’insère dans la trame narrative sans causer de bouleversement majeur dans l’organisation sociale de la cité, ce qui contribue à atténuer nettement la prééminence du fascisme. La visite du dignitaire n’a pas plus d’incidence dans le récit que celle de l’émir qui vient séjourner au Grand Hôtel. Dans Amarcord, la vie quotidienne des habitants n’est pas ébranlée par le fascisme, contrairement à des films tel que 1900 (Bernardo Bertolucci, 1976). Le réalisateur n’évacue pas pour autant l’attrait des habitants pour le régime. En témoigne la célèbre séquence du paquebot.

La représentation du fascisme évoque, pour Fellini, le comportement grégaire de la nation, de l’époque de Mussolini jusqu’aux années 1970 : « Nous avons tendance à rester d’éternelles enfants, à nous décharger de nos responsabilités sur les autres, à vivre avec la confortable sensation qu’il y a quelqu’un qui pense pour nous ; tantôt c’est la mamma, tantôt le père, tantôt le maire, tantôt le Duce, ou la madone, l’évêque, en somme toujours les autres » (Cf. Federico Fellini, in Positif, n°158). C’est cet « autre », qui éclate au grand jour lors du cérémonial fasciste ou du passage du Rex, que dénonce la rhétorique fellinienne, en mettant en valeur la dimension individuelle – les frasques de Titta – face au conformisme collectif, placée sous l’autorité ecclésiale, parentale et politique.

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