S’il y a pourtant quelque chose qu’on ne peut pas reprocher à À perdre la raison, c’est de donner dans le sensationnalisme. Déjà, et un carton pré-générique le dit, c’est une fiction pure. Surtout, Lafosse s’en tient aux faits : c’est l’avant qui l’intéresse, le chemin de croix quotidien d’une femme qui ne peut plus, la manière dont une mère de famille devient une Médée des temps modernes. Ça commence de manière très banale : Murielle (Émilie Dequenne) rencontre Mounir (Tahar Rahim), tombe amoureuse. Ils font beaucoup l’amour, se marient à la hâte, font un enfant très vite, puis deux, puis bientôt quatre. Le couple est logé par le docteur Pinget (Niels Arestrup), ogre new age adepte des séjours au Maghreb qui avait ramené Mounir dans ses bagages quand il était adolescent, l’entretient depuis. Dans cette cellule familiale asphyxiante, tout le monde étouffe, surtout Murielle qui, bientôt, passe ses journées au lit, pleure constamment et ne sait plus comment s’en sortir.
À perdre la raison se tient à distance respectueuse de ses personnages, ne se place du côté de personne, montre simplement que l’horreur est humaine et qu’il faut savoir la regarder en face. C’est parfois la faiblesse du film qui, détaché de tout parti-pris, se tient presque en dehors de son sujet. C’est peut-être, sans doute, la seule manière de traiter le fait-divers au cinéma ; il n’en reste pas moins que l’émotion est ailleurs. Dans l’interprétation d’Émilie Dequenne notamment, immense, repartie de Cannes avec le Prix d’interprétation féminine et qui tient son plus beau rôle depuis la découverte dans Rosetta. Qu’elle s’effondre seule dans sa voiture en chantant sur le "Femmes je vous aime" de Julien Clerc (il faut le talent de Lafosse pour réussir cette séquence) ou qu’elle tente de faire bonne figure en société, chaque expression de son visage, chaque mot sont d’une justesse absolue. Et quand vient l’explosion, dans une scène glaçante parce que filmée hors-champ, il suffit d’une phrase, prononcée par elle et hors-cadre également, pour que de Murielle, on ne cautionne rien, mais on comprenne tout.