Le problème avec les metteurs en scène qui se sont montrés talentueux dès leurs débuts, c’est qu’on a envers eux une exigence à la hauteur de la réputation qu’ils se sont taillés. Kim Jee-Woon, déjà auteur des magnifiques et audacieux The Foul King et 2 Sœurs, était donc forcément attendu avec A Bittersweet Life.
Tout commence lentement, comme dans la continuité de 2 Sœurs, film au rythme lancinant et posé, travaillé dans l’épure et l’esquisse. Ici, il est question d’un héros sans identité véritable. Juste un homme errant sans but apparent et n’éprouvant aucun sentiment, ni touché par l’amitié, ni par l’amour. Juste un homme au service d’un mafieux qui ne se salit jamais les mains et lui demande soudainement de surveiller sa femme, qu’il suspecte d’adultère.
La mise en scène de Kim Jee-Woon annonce un métrage vraiment personnel et différent. Non pas qu’il soit réellement novateur, on pourrait même lui trouver multiples éléments d’un classicisme absolu. D’ailleurs, le film s’inspire assez librement du Revenge de Tony Scott. Mais parce qu’elle paraît en suspension, prête à faire éclater sa virtuosité à tout moment, attirant irrémédiablement le spectateur par sa grâce. Le film monte progressivement en intensité, soutenu par une ambiance qui tend vers la poésie de 2 Sœurs.
Cadrage précis et photographie sublime. Une nouvelle fois chez Kim Jee-Woon, le personnage principal est plongé dans un univers qui le dépasse, se posant en digne représentant du cinéma coréen. Le protagoniste est sans caractère, sans ambition, sa vie sera rythmée par celle d’une femme, parce qu’elle réveille chez lui un désir enfoui et une impression d’exister.
Le calme apparent du long métrage est alors rompu par une rythmique qui accélère soudainement. Comme dans Old Boy ou Bad Guy, c’est lorsque le personnage est focalisé sur une action que le récit prend du relief. Dynamique bien spécifique au cinéma coréen que d’utiliser le déclenchement du parcours initiatique ou de la quête de rédemption d’un personnage comme propulseur du rythme de l’intrigue.
Celui de A bittersweet life pourrait s’apparenter à la symphonie d’un morceau de musique classique. Démarrage en douceur, accélération soudaine et reprises en flash-back pour dynamiser l’ensemble. Kim Jee-Woon joue avec maestria sur les symétries et les asymétries afin de mettre en avant le décalage du héros avec le monde qui l’entoure.
Jouant aussi subtilement de la contemplation que de la démonstration, le film peut en fait prêter à une critique de taille : la violence. On retrouve une autre caractéristique commune à plusieurs films coréens qui n’hésitent pas à utiliser la violence à outrance. Le film rejoint donc Old Boy de Park Chan-Wook dans l’hypertrophie prononcée de la douleur physique, comme s’il s’agissait là du principal « outil » pour susciter l’intérêt. Le lyrisme du départ disparaît ainsi quelque peu sur la fin, virage finalement un peu douteux.
Vouloir créer la violence, la montrer de manière pessimiste et inévitable est difficile, car il y a toujours le risque de tomber dans l’excès de sang et la débauche parfois gratuite de scènes de torture et de souffrance. En voyant A bittersweet life, on pourra lui pardonner ces égarements, mais une telle surenchère n’aurait probablement pas eu lieu d’être dans un film de cette envergure, gâchant finalement l’impression d’une première partie très réussie.
Un polar sombre et violent, d’une maîtrise évidente, permettant à Kim Jee-Woon de se positionner comme un cinéaste qu’il faudra suivre, et qui, s’il pourra choquer ou énerver ses détracteurs, parviendra également à surprendre, voire même à passionner les cinéphiles en quête de sensations extrêmes…