Bonne pioche pour Pathé Renn Production qu’on voit partout en ce moment, pour le pire ou le meilleur, d’Astérix aux jeux olympiques à La graine et le mulet, en passant par Ensemble c’est tout ou encore Sa majesté Minor et Bienvenue chez les ch’tis. Claude Berri & co occupent le terrain, souvent bien inspirés comme c’est le cas en fait pour Whatever Lola Wants, réalisé par un franco-marocain, Nabil Ayouch, à qui la production a donné les moyens de sa réussite, ce qui est assez rare dans le cinéma et mérite d’être signalé : décors, mise en scène, interprétation, musique et retombées sans doute internationales. En fait, Nabil Ayouch, né à Paris en 1969, a voulu réconcilier ici l’Orient et l’Occident et il a réussi. Il fallait lui en donner les moyens car il ne s’agit pas d’une mince affaire, et il fallait aussi qu’il puisse traiter son scénario « à l’américaine ».
Disons-le d’emblée, nous n’allons pas bouder notre bonheur. Bien sûr, on pourra toujours arguer qu’il y a des maladresses ou des lenteurs. Comme on pourra aimer ce film qui, pour une fois, ne parle ni du terrorisme arabe, ni de la violence de la religion, mais juste de la beauté d’une partie de sa culture, la danse du ventre. Très à la mode dans nos contrées depuis une petite dizaine d’années, cette danse orientale autrefois cantonnée aux restaurants libanais de luxe, envahit notre environnement urbain. Ce que l’on ignore peut-être, c’est qu’il s’agit aussi d’une danse noble qui peut conduire facilement, par le jeu du mouvement des doigts et de tout le corps, au sacré, au fameux Tarab dont la danseuse Ismahan parle dans le film. « La danse orientale, déclare Nabil Ayouch, comme danse millénaire, porteuse d’une culture riche, élément primordial d’une civilisation ; la danse orientale, comme danse du ventre, de la procréation, qui a donné naissance à tant de beaux mouvements. »
En effet, c’est pour lutter contre une forme d’immobilisme que Lola, jeune postière du Wisconsin à New York, décide de partir au Caire parce qu’elle est tombée amoureuse d’un bel Égyptien et qu’elle veut à tout prix aller jusqu’au bout de cette aventure, même si elle n’en connaît pas l’issue. Il s’agit d’un film d’amour, mais d’un film sur l’amour entre les êtres, un film sur un apprentissage aussi. Parce que Lola ignore, en quittant New York, qu’elle part à la rencontre d’un monde étranger, d’un monde assez machiste que son copain Youssef, Égyptien gay resté à New York, dit avoir quitté pour pouvoir vivre enfin pleinement sa vie et ses choix. C’est dire que Lola ne va pas vers la facilité, d’autant qu’elle découvrira vite les différences culturelles et sociales dans la très riche famille de Zack qui la snobe. Mais se souvenant de Youssef, elle restera au Caire pour y devenir, nolens volens, la reine de la danse orientale, aidée en cela et quasi involontairement par Ismahan, une belle danseuse que la société a condamnée pour adultère. En fait, l’apprentissage se fera dans les deux sens : la jeune évaporée américaine façon Marilyn apprendra à danser, et Ismahan la femme qui pleure réapprendra à vivre et à aimer selon sa liberté.
Filmé d’abord à New York dans le style des films américains, entre comédie musicale et série TV, le film décolle dès son arrivée au Caire (en fait, le film est tourné au Maroc) car Nabil Ayouch s’amuse à rendre hommage à son maître Youssef Chahine et c’est un régal : jardin clos, palais des mille et une nuits, mariage sublime, danses fastueuses, etc. Sans oublier cet hommage inattendu à notre pauvre vieux Louxor, cinéma destroy quoique classé, abîmé et abandonné près du métro Barbès-Rochechouart, lorsque la caméra s’attarde sur le Nile Tower du Caire, chef-d’œuvre d’architecture art déco, palais de la danse et de l’envol des taffetas et des ors dans lequel Lola (allusion à Jacques Demy ?) triomphera avant de repartir pour la Big Apple. Un véritable plaisir que ce film, un Bollywood français, ponctué par l’hommage de Natacha Atlas et de son ancien groupe le Trans-Global Underground, avec hommage orientalisé à Sarah Vaughan qui donne son titre au film.