Videodrome

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Retour sur Vidéodrome de David Cronenberg.

Il en a fait sa spécialité : David Cronenberg est devenu au fil des années le penseur des bouleversements de l’homme, du corps humain plus précisément, par la technique introduisant dans le film gore une réflexion sur la crise morale née de la rupture de la frontière entre le corps et la machine, le naturel et l’artificiel, puis de l’avènement du concept de << réalité virtuelle >>.

Videodrome donne une assez bonne idée de ce que le maître canadien peut chercher à susciter chez le spectateur. Le personnage principal, interprété par James Woods, patron d’une chaîne de TV porno, est victime d’hallucinations après avoir visionné un programme TV émettant un signal qui déclenche une tumeur au cerveau.

Ici, la technique bouleverse le fonctionnement rationnel du cerveau humain, par le biais de la connexion immatérielle qui s’établit entre l’oeil du spectateur et l’écran. L’image (scènes de tortures et de meurtres « snuff movies » destinées à choquer pour exciter certaines zones du cerveau) n’est plus une fenêtre ouverte pour s’évader et fantasmer de manière passive (contrairement à ce qu’on peut croire au début), elle devient un ferment qui s’insinue physiquement chez le spectateur, qui sera amené à mettre en scène lui-même ses fantasmes (involontairement), à travers ses hallucinations. Comme on le voit dans une de ces séquences, le personnage de James Woods pénètre littéralement l’écran de sa télévision, pour devenir acteur de ce qu’il regarde. La fin du film et le personnage du docteur vont même jusqu’à suggérer que la « vraie vie », notre existence la plus vivante, est celle que l’on entretient à l’écran, en partie parce qu’elle permet d’exaucer partiellement le vieux rêve de l’immortalité : ainsi, le professeur a enregistré des centaines de cassettes qui donnent aux vivants l’illusion de poursuivre un dialogue avec lui, par delà la mort.

Alors, la télé, une pierre philosophale moderne ?

On retrouve d’une certaine manière cette idée que ce n’est que dans le cadre bien délimité du petit écran que l’on se sent véritablement exister aux yeux d’autrui, grâce à l’extension du champ des possibles par les fameux outils du Web 2.0. Songeons un instant aux vidéos « perso » chargées et visionnées en masse sur Youtube et ses avatars, puis relayés par la blogosphère. Passer à l’image est désormais la panacée, se voir donne l’impression d’être différent, permet de se construire un personnage et une singularité (aussi ridicule soit-elle) qui attirera l’attention.

Mais Cronenberg va jusqu’à suggérer, grâce à des effets spéciaux sanglants et pas encore trop désuets, une fusion de la technique et de l’organique qui pousse l’homme hors de sa raison et le dépossède de son libre-arbitre. Nouvelle forme d’aliénation qui ne passe pas par la soumission de l’ouvrier à sa machine (Les temps modernes, Metropolis etc), mais par l’introduction directe de la technique dans le corps. Le héros se fait homme-magnétoscope, avec l’apparition d’une fente sur son ventre, par laquelle on peut introduire des cassettes; qui sont un moyen pour les créateurs de Videodrome de contrôler la volonté du héros. De même, son pistolet se soude à sa main, transformant les nerfs de l’avant-bras en câbles métalliques, tel un nouveau membre à part entière, lointain écho du pistolet fait d’os dans eXistenZ.

Ca délire grave chez Cronenberg, et c’est un peu le noeud du problème. Comme le rappelle un des personnages, il n’y a pas de « réalité », mais seulement des perceptions sensibles de ce qui est réel ou non. La technique moderne a introduit dans nos vies des forces déformantes qui bouleversent les repères et font perdre pied, nous égarant dans les vertiges du doute hyperbolique.

La problématique sera poursuivie dans eXistenZ sous l’angle de la réalité virtuelle. Cette fois, c’est en se connectant physiquement à une console de jeu ressemblant à un organe vivant (les temps changent, le principe reste le même), que les personnages vont s’embourber dans les méandres de leurs connexions neuronales. Est-ce parce que je vois mon corps souffrir que ce que je vis est réel ? Mes actes ne sont-ils pas déterminés par une conscience extérieure ?

Ce ne sont que quelques pistes, car pour creuser véritablement les interrogations proposées par Cronenberg, il faudrait certainement avoir recours aux armes de la philosophie.

Titre original : Videodrome

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Durée : 88 mn


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