En faisant de Vandal le modèle grapheur invisible, mais toujours à imiter, servis à l’écran par les graff de Lokiss, Pisko Logic, Orka et du collectif El Cartel, le réalisateur parvient à donner une forme presque artistique à son film. Par le biais du street art, qu’il découvre grâce à son cousin, Thomas, sorte de Janus, ce dieu à deux têtes – bon élève le jour avec ses lunettes sérieuses, grapheur fou la nuit avec sa bande, joliment interprété par Émile Berling que l’on avait découvert dans Comme un homme (Safy Nebbou, 2012) -, Chérif voit le monde de l’art s’ouvrir à lui, ce qui lui permettra de se faire reconnaître, d’aimer la fille réservée qu’il a rencontrée dans sa classe de lycée professionnel, et finalement de devenir un homme, plus que ça : un artiste, dans la scène finale où, après tué le « père », il créera son œuvre qu’il signera Vandal comme pour s’approprier le nom du père qu’il a du mal à accepter dans le réel.
Même si le scénario ne nous dévoile pas pourquoi Chérif est si révolté par rapport à sa mère, et s’il a du mal à accepter l’amour maladroit que tente de lui apporter son père – impeccables Marina Foïs et Ramzy -, cela n’a pas d’importance. Le film est centré sur Chérif qui rêve comme tous les adolescents d’une autre vie, à la manière de l’image tutélaire de Rimbaud, l’homme aux semelles de vent. Mais « la vraie vie est ailleurs », on le sait bien, sauf qu’ici Chérif va se révéler en sortant de l’ombre de Vandal et, en brandissant son nom comme un trophée – transgressant cependant une des règles fondamentales du street art -, endossera le costume de super-héros. Au départ, c’est à ce scénario que pensait Hélier Cisterne : dépeindre un ado qui dérobe un costume qui le protège, mais qui lui colle de plus en plus la peau, le dévore… Ici, ce n’est plus tout à fait l’habit de Superman que Chérif endosse, mais celui d’un graffeur qui va lui permettre, au-delà de sa mort, de devenir enfin à la fois lui-même et l’Autre, transgression et mutation qui vont faire de lui un autre lui-même. Et si Hélier Cisterne a choisi le milieu du street art, toujours en équilibre instable entre art, utopie et clandestinité comme le cinéma lui-même, c’est parce que, selon lui, il est « l’une des seules formes de culture qui ait été inventée et développée par des adolescents. Le graffiti témoigne de manière absolument sincère et brute de la jeunesse d’une époque ».
Si ce film magnifique ne donne pas à tous les ados l’envie de grimper sur les façades afin d’y laisser une trace éphémère, il peut leur donner par-dessus tout l’envie de faire du cinéma de contrebande.