United States of Love

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Le portrait de quatre fleurs condamnées à l’hibernation.

United States of Love de Tomasz Wasilewski introduit un nouveau quatuor féminin, après Certaines Femmes  de Kelly Reichardt. L’année 2017 se dessine en effet comme une année importante sur la condition des femmes ; tant dans la sphère médiatique, où la misogynie n’a jamais autant pointée du doigt, et traquée dans ses atours les plus déguisés, que dans la sphère politique, où il semble désormais impensable de ne pas penser l’égalité entre les sexes, à tous les niveaux. La question semble, plus que jamais, prégnante dans les esprits.

Au cinéma, cette nécessité de tendre vers un traitement pluriel semble révélateur d’une urgence bien contemporaine ; un portrait unique ne suffit plus, il serait en tout cas trop limitant, ou prendrait le risque de lier le destin de toutes les femmes aux traits d’une même actrice. On lui préférera alors un espace comblé de visages, comme si le format du long métrage devait rechercher la nuance par l’exhaustivité, en tout cas la pluralité, permettant d’étendre la sensibilité du portrait vers un horizon politique. En outre, les deux cinéastes pré-cités démontrent et revendiquent, à la racine même de leur projet, qu’ils ne parlent plus de la femme, mais des femmes.

Libération amère

Tomasz Wasilewski, cinéaste polonais âgé de seulement 36 ans, fait preuve d’une précision redoutable pour poser de manière picturale (en un seul plan) l’idée qui hantera son film. Une caméra fixe observe un long dîner bruyant et superfétatoire, où les différents convives mangent et boivent copieusement. Parmi la galerie de visages présentée, le regard s’arrête sur celui d’Agata (Julia Kijowska), dont l’expression semble figée dans le néant, le teint livide et à contretemps du mouvement général ; tous sauf elle consomment et échangent, signe extérieur d’une certaine vitalité. A n’en point douter, le film s’attardera de prime abord sur cette jeune femme à l’allure de mort-vivant.

Quelques minutes plus tard, un nouvel invité sonne à la porte. Agata laisse entrer une autre femme, Iza (Magdalena Cielecka), qui prendra place à son tour autour de la table. On retrouve dès lors cette même réserve chez cette dernière, où toute émotion semble rétractée vers l’intérieur. Elle non plus ne participe pas à l’événement ; elle ne mange, ni ne parle. Elle se retranchera sur un lait de poule qu’on imagine alcoolisé, et sur la cigarette.

L’obsession du jeune réalisateur, bien qu’esquissée ici, apparaît dès lors dans ce contraste : il s’agira de montrer, dans un contexte socio-politique bien particulier – celui d’une Pologne postcommuniste au lendemain de la chute du mur de Berlin, où les traditions nationales catholiques ont repris le pouvoir, affectant considérablement les libertés fondamentales des femmes – que la libération du pays semble bien amère, à travers le regard de Agata et de Iza. C’est en fait ce que raconte de manière symbolique cette séquence d’introduction ; les deux femmes, bien que conviées autour de la table, semblent privées de dessert. Le reste du film, qui suivra tour à tour les trajectoires de ces deux femmes, puis plus tard, celle de Renata (Dorota Kolak) et enfin de Marzena (Marta Nieradkiewicz), permettra enfin de s’attarder sur les singularités de chacune, bien que le décor de l’oeuvre, toile de fond où se jouent de nombreux déterminismes souterrains, à la fois omniprésents et invisibles, leur causent insidieusement les mêmes symptômes.

Où sont les couleurs ?

Notamment, cet horizon grisonnant perpétuel, presque sans couleur, que le chef opérateur Oleg Mutu (à qui l’on doit notamment la photographie de 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, 2007) a su instaurer de manière très radicale, afin d’exacerber cette sensation de mouvement annihilé par un temps scellé.
Surtout, cette absence de vitalité dans les couleurs développe une idée cinématographiquement passionnante et d’une grande poésie, qui est la dimension carcérale du corps féminin.

Derrière les masques de peau nacrée de ces femmes, derrière leurs visages interdits, se dessine une vie magnifique, une énergie à la fois solaire et flamboyante. D’une certaine manière, toute la beauté de ces êtres contraints vient de cette lueur qu’on ne peut qu’à peine deviner. Les couleurs chaudes ne sont à cet égard pas absentes du film, mais seulement invisibles, car contenues dans des corps aux allures de forteresses impénétrables. Lors d’une scène où Agata fume une cigarette à moitié nue, debout sur la terrasse de son appartement, celle-ci semble en effet ne pas ressentir le froid glacial qui sévit alors, consumée par un feu vital qui finira par la dépasser. Folle de désir pour le jeune prêtre de la paroisse locale, chaque rencontre avec ce dernier éveillera de manière violente sa chair, échauffera son sang. Faute de mieux, elle se retranchera sur son mari, accomplissant dans le domaine visible son devoir conjugal.

Iza pour sa part, directrice d’école à l’apparence sévère et à la stature imperturbable, s’amourache de son amant qui, récemment, a perdu sa femme. Son masque social semble la désigner comme l’archétype de la femme indépendante et fière. Pourtant, et de la même manière, le temps passé à suivre ses pérégrinations permettra d’apercevoir, à l’orée de son regard, la fragilité d’une femme terriblement seule, qui n’aspire qu’à trouver la proximité et la chaleur d’un autre corps.

C’est enfin, loin des hommes cette fois, qu’une histoire permettra au film d’accoucher de son plus beau regard. Celle de Renata, femme d’âge mûr au tempérament réservé, dont la vie est rythmée par l’observation de sa voisine Marzena, une jeune et belle professeur de danse. Son quotidien répétitif et sa vie sociale, se résumant uniquement à l’interaction avec ses oiseaux, la poussera à se rapprocher de Marzena. Au milieu d’un cours de danse, le hasard lui permettra de danser avec cette dernière.

Dans ce moment d’éternité, la pâleur de son visage, ainsi que ses petites lèvres pincées, sont transcendées par ses yeux, dont les reflets prennent des atours vertigineux. A travers eux, réside à la fois le propos de United States of Love – constat accablant sur l’enfermement des femmes en Pologne au début des années 1990 – mais aussi la célébration d’un individu dans tout son mystère, mystère si insondable qu’on ne peut dès lors plus le cantonner aux frontières de simple personnage.

A ce moment, on aimerait que le visage s’ouvre, telle une fleur au début de printemps, et nous invite enfin à voir ses couleurs.

Titre original : United States of Love

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Durée : 106 mn


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