Une journée particulière (Una giornata particolare; 1977)

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Mêlant Histoire et histoires, celles d’Antoinette et Gabriele, « Une journée si particulière » se déroule pendant le discours historique de Mussolini.

Le film de Scola débute par les images d’archives propagandistes de l’arrivée de Hitler à Rome pour rencontrer Benito Mussolini. Depuis la signature de l’axe Rome-Berlin en 1936, l’alliance politique du Führer et du Duce se renforce. On peut donc y voir les piliers de la propagande comme la réception des foules fascistes et les parades militaires… Nous sommes le 9 mai 1938.a

C’est par la radio (dirigée par l’Etat) que les deux protagonistes du film vivront les événements. Omniprésente dans tout le film, elle nous rappelle le fort ancrage historique de l’oeuvre et sa forte influence sur les personnages. Il faut dire que l’existence de Gabriele (Marcello Mastroianni) et d’Antoinette (Sophia Loren) n’est autre que le résultat du régime fasciste et de l’opinion générale de l’Italie, à l’aube du deuxième conflit mondial.

Le poids du fascisme

L’oeuvre de Scola ne porte pas sur le fascisme mais précisément sur la mentalité fasciste. Véritable carcan social, le régime définit tout, jusqu’à la fonction sociale de chaque sexe : « La femme est la gardienne du foyer », un homme c’est « un mari, un père, un soldat ». Antoinette est la femme type de ce système. Une femme au foyer, dévouée pour une famille nombreuse. C’est par ce personnage que le réalisateur aborde le vaste thème de la condition féminine. Une condition qui varie fortement en fonction de la classe sociale : la bourgeoise qui dispose d’une bonne peut se rendre à l’événement attendu par tout le petit peuple italien. Antoinette, ne sortira pas en théorie de sa place de ménagère. Mais de façon très symbolique, son perroquet, qui quitte la cage, permettra à cette dernière de vivre une journée si particulière… En effet, ce sera l’occasion pour elle de rencontrer Gabriele, un chroniqueur radio qui pour des raisons politiques et morales a été licencié. Le régime et sa voix radiophonique n’admettent pas les opposants, les « défaitistes » et les déviants, autrement dit les homosexuels. Fortement déprimé, c’est l’arrivée de la ménagère qui l’arrachera à sa volonté suicidaire. A ce niveau-là, notons la place et l’importance de la concierge, qui plus qu’une gardienne d’immeuble prend le rôle de la gardienne de l’ordre moral du voisinage. Ses interventions, à la limite du comique, montrent à quel point la société est réfractaire à ses opposants.

Le récit d’une rencontre improbable

Comment vivre dans un système qui ne garantit pas le bonheur social ? Le chroniqueur déchu est la voix de la culture, la tête pensante du scénario qui mettra la très peu cultivée Antoinette face à ses contradictions et face aux failles du régime : « Être célibataire, c’est une richesse » lance t-il d’un ton ironique. Pourtant, au départ, la femme au foyer paraît sûre de ses idées fascistes. Elle finit par se rendre compte que la conception de la femme de ce régime va à l’encontre de ses aspirations. Car plus qu’une mère, elle veut être une femme, recevoir de l’attention. On voit par la suite une femme qui doute, coincée entre l’opinion générale et la volonté de se laisser séduire. Le plan sur la main baladeuse portant l’alliance est très évocateur de cet embarras.

Bien plus que deux personnages à part entière, Antoinette et Gabriele forment un ensemble. Car le film est bien le récit de la rencontre de deux êtres, différents en apparence mais ayant pour point commun d’être des laissés-pour-compte. Au départ présentés par un montage alterné, les protagonistes à partir de leur rencontre ne vont cesser de se séparer et de se retrouver. Ceci donne quelques longueurs à l’oeuvre mais aussi un comique de situation, lorsque l’on voit tous les efforts de l’ancien journaliste pour échapper à sa solitude. Le film s’achève également sur un montage alterné montrant Gabriele fuyant le fascisme, et Antoinette, se dirigeant vers son devoir de procréatrice afin de toucher l’allocation pour les familles nombreuses.

Le film de Scola est original. Se déroulant pendant un événement historique, il a également l’audace de laisser la place à ceux que le régime ne veut pas ou peu voir. Sophia Loren et Marcello Mastroianni, dont le jeu est remarquable, incarnent des personnages très loin de ce qu’ils sont réellement : des vedettes italiennes. Leur relation, vouée à l’échec, n’ira pas plus loin que la simple consommation. C’est le signe de l’échec du régime, qui à moins de s’illusionner devant une prétendue grandeur de la civilisation mussolienne, ne permet pas le bonheur individuel. Le réalisateur qui parada ce 8 mai avec les jeunesses mussoliniennes, revient donc avec son jugement et sa liberté artistiques pour nous offrir ce grand classique du cinéma italien.

Titre original : Una giornata particolare

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Durée : 105 mn


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