Une jeune fille qui va bien

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Premier film intéressant mais malheureusement assez simple et trop centré sur ses acteurs, mal dirigés.

Pour son premier film, l’actrice Sandrine Kiberlain prend les rênes à la fois de la réalisation et de l’écriture. Une jeune fille qui va bien met en scène Rebecca Marder dans le rôle d’Irène, jeune adolescente parisienne. Elle est à l’âge où tout se construit, et donc tout semble fragile, instable. Beaucoup d’évènements surviennent avec l’intensité des premières fois : les flirts, les coups de foudre, les disputes avec son père, avec son frère, le concours qui lui ouvrirait les portes d’un conservatoire d’art dramatique… Irène navigue au milieu des autres, elle cherche sa place, ignorant les signes de la tempête qui approche.

Film d’actrice… Pour actrice.

Sandrine Kiberlain laisse dans son film une place prépondérante au jeu de ses acteurs. Cela s’explique sans doute par son expérience professionnelle ; sur les plateaux de tournage, elle évolue au milieu d’autres comédiens, elle est habituée à leur donner la réplique et à penser l’histoire depuis leur point de vue. On ressent, dans sa manière de filmer, son admiration profonde pour ses personnages. Ce qui les rend très vite envahissants. Pendant les quarante premières minutes, elle suit presque exclusivement Irène, à la poursuite d’un archétype qu’elle veut nous faire aimer. Elle crève (trop) l’écran, avec son caractère joyeux, « pétillant », « solaire » qui a de quoi mettre la patience à l’épreuve. Nous ne parlons ici que de notre propre ressenti, parce qu’il nous semble que l’appréciation d’une façon d’être est beaucoup plus personnelle que celle de la mise en scène d’un film ou de l’écriture d’un roman. Il reste que ces comédiens sont globalement plutôt mal dirigés, et leurs répliques sonnent trop écrites, ou trop orales, et souvent surjouées. Elles sont trop rarement justes, à l’exception notable de Françoise Widhoff, qui n’est pourtant pas habituée à jouer devant la caméra puisqu’elle est chef monteuse de profession.

Hors du temps

Les choses changent dans la seconde partie du film. Le contexte historique fait surface au détour d’une phrase, d’abord de manière anodine, puis se fait de plus en plus pressant. Le père d’Irène doit se rendre à la préfecture pour faire inscrire sur leur papiers la mention « juif ». La grand-mère refuse. Ce n’est pourtant pas grand-chose, lui assure-t-il, après on les laissera tranquilles. Un ami d’Irène, inscrit au cours de théâtre lui aussi, disparaît à quelques semaines du concours. Petit à petit, la tension monte malgré le contraste produit par Irène, toujours souriante, à la poursuite de ses propres désirs. A présent beaucoup plus vulnérable, son personnage regagne en intérêt. Sa famille s’inquiète d’autant plus lorsqu’elle ne rentre pas dormir le soir. Mais elle continue de vivre une vie la plus heureuse possible, et fait de son mieux pour que tout reste comme avant. C’est un choix de construction intéressant que d’invoquer aussi tard dans le film le Paris occupé des années 1940. Cela rajoute une nouvelle dimension qui était jusque-là occultée, ainsi qu’une grande tension dramatique. La réalisatrice le justifie volontiers, si certains juifs ont fui le pays, tous ne se doutaient pas du destin qui leur était réservé. Bien peu étaient au courant, et certains ont voulu se croire à l’abri, ou bien n’ont pas envisagé l’étendue de la menace qui pesait sur eux. Le spectateur est en quelque sorte beaucoup plus proche des personnages. Il n’a pas la position de recul que prennent certains films, qui suivent les chemins balisés de la plus grande Histoire, et qui nous laissent dans l’attente des évènements comme c’était le cas avec Once Upon a Time… in Hollywood et l’assassinat de Sharon Tate. Une jeune fille qui va bien nous montre des destins en train de s’écrire, avec toute l’incertitude et la résilience de la vie.

Film de chambre

Mais pour mieux concentrer l’attention du spectateur et faire oublier ce contexte, la réalisatrice a fait en sorte de retirer le plus plus possible d’éléments qui pourraient y faire penser. Elle a cherché à rendre son film intemporel et ses personnages universels. L’inverse de ces films historiques sans pudeur, qui ne rechignent jamais à faire défiler des figurants en costumes de la Wehrmacht, portant les étendards rouges frappés de la croix gammée, levant le bras dans les rues de Paris ; de tels clichés ne sont pas obligatoires. Nous avons plutôt affaire à une sorte de « film de chambre », somme toute un peu vide. Beaucoup de scènes se déroulent en intérieur, dans des appartements Haussmanniens tels qu’on en trouvait en 1940 et qu’on peut toujours en trouver aujourd’hui. Des extérieurs dépouillés, aucune voiture, peu d’accessoire, des costumes sobres. Refuser ainsi les marques d’une époque, c’est lui retirer le poids du réel, ses subtilités qui lui donnent son caractère, son charme. C’est priver le spectateur de la part d’inconscient qu’il associe à chaque objet, et à travers lui à l’époque qui lui est associée. Les personnages ne vivent plus dans une société, mais dans une sorte de flou, de monde générique sans caractère. En un mot, c’est le hors-champ qui disparaît.

Vivre à l’écart

C’est pourquoi la seconde partie est plus intéressante. La famille d’Irène doit désormais vivre avec le regard des autres, tenter de continuer une existence paisible malgré leur stigmatisation grandissante. Cette pression culmine avec l’apparition sur leur vêtement de la tristement célèbre étoile jaune. Le sourire sincère sur les lèvres d’Irène prend tout son sens ; ses petites joies sont des déchirements. Il aurait été intéressant de montrer davantage de personnes antisémites, chose que le film refuse de faire. En les invisibilisant, il les déshumanise et renonce à comprendre leurs acte. Il est pourtant nécessaire, aujourd’hui encore, d’expliquer les raisons qui les ont poussés à agir pour mieux les combattre. Une mention au passage de la musique qui en est réduit à sa fonction purement illustrative.

Une jeune fille qui va bien prend des décisions audacieuses, mais reste à notre avis trop proche des corps et ne s’intéresse pas assez à son histoire ou à sa mise en scène. Il sera très apprécié, ou très peu, selon si on accroche à ses acteurs ou à ses personnages. A propos de la vie des juifs français, nous vous encourageons à regarder la conférence d’Esther Senot à l’université de Cergy, bientôt disponible en ligne. Bien sûr, regarder le documentaire bouleversant d’Alain Resnais, Nuit et brouillard (1955), et l’excellent film de Costa-Gavras, Amen (2002), qui manifestent beaucoup plus de cette humanité qui manque un peu à ce film-ci.

 

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Durée : 98 mn


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