Adel (Reda Kateb), un membre de la BRI (brigade de recherche et d’intervention) souffrant de crises d’angoisse après être intervenu le 13 novembre 2015 au Bataclan, commence une thérapie avec le psychanalyste Philippe Dayan (Frédéric Pierrot). Il ne dort plus, souffre de douleurs au thorax, s’évanouit lors d’un footing, ne supporte plus sa femme. Il est là, sur le canapé rouge et attend qu’on l’aide.
Lors de sa première visite, Adel parle fort et s’agite. Cela sera redondant dans la série, les personnages qui viennent en thérapie, enfermés dans la pièce du cabinet du psychanalyste, doivent en faire beaucoup pour occuper l’espace. Les personnages étant instables de par leur présence même à cette thérapie, cette agitation est automatiquement justifiable et c’est fort commode pour tout le monde. La direction d’acteurs encourage ainsi un surjeu semblant souvent être là pour rassurer une mise en scène gênée par son dispositif même. « On ne sortira que très peu de cette pièce » semble-t-on nous dire, « mais rassurez-vous, il y aura du mouvement ». Ainsi, dès l’épisode deux (Adel apparaitra dans sept épisodes), lors de notre première rencontre avec Adel, on nous présente un homme incapable de rester en place. Cela sera en partie justifié par l’écriture du personnage (nous y reviendrons) mais sa nervosité transparait de manière excessivement théâtrale dans le jeu de Reda Kateb. Les mouvements sont brusques, il se lève, se rassoit et s’énerve.
Si le massacre du Bataclan n’existe qu’en arrière plan dans l’écriture des autres personnages, s’il ne joue pour eux qu’un rôle de déclencheur, pour Adel il est central. Les créateurs d’En Thérapie (Eric Toledano et Olivier Nakache) se servent du 13 novembre pour plonger dans son passé, pour nous parler de lui, mais aussi pour nous parler de l’état de la France à ce moment là ; aborder le sujet de sa police, de ses citoyens et de leurs peurs. Ce qu’ils font raconter à Adel et ce qu’ils racontent à travers lui, devient alors hautement problématique.
Tout d’abord il faut faire parler Adel. Les mots qu’on lui donne à jouer lors de notre première rencontre avec lui doivent s’accorder avec son corps agité et incapable de rester en place. Membre de la BRI et donc flic, le cahier des charges des scénaristes veut qu’Adel parle fort et sans détour face à un psychanalyste forcément en dehors du monde. Adel doit être dans l’action, dans la vie et ses mots doivent être ceux des « vrais gens ». Il faut aller droit au but et quand il doit pour la première fois nous parler du massacre du Bataclan, le sujet est tellement grave, tellement traumatisant et parait tellement grand pour les scénaristes que les mots choisis n’ont d’autres buts que de choquer :
« Il y avait l’odeur aussi… l’odeur du sang… Ça m’a sauté à la gueule ! »
Cette entrée en matière, qui se retrouvera en écho plus tard – l’odeur du sang des victimes du Bataclan servira de pirouette scénaristique – met mal à l’aise. Tout semble ici instrumentalisé par des scénaristes incapables d’attraper cette Histoire récente autrement que par la vulgarité. Le personnage d’Adel étant flic, il peut donc parler comme cela ; il peut être vulgaire. Pourquoi alors se priver ?
Cette vulgarité, sans en donner l’air, est très idéologique et ne donne aucune chance au personnage d’exister en dehors de sa caricature. Il ne s’agit pas ici de rapprocher « vulgarité » du sens qu’on lui donne généralement aujourd’hui – quasiment un synonyme de grossièreté – mais de revenir à son sens premier, à son étymologie. Face à ce psychanalyste assis, installé, face à cet homme qui « sait », Adel, par ses gestes et ses mots, est empreint de vulgarité. Il a le langage, le comportement, l’attitude du bas peuple (vulgus).
La même démarche est entreprise quand il s’agit de présenter dans le premier épisode Arianne (Mélanie Thierry), jeune chirurgienne qui s’est occupée des rescapés des attentats. Très rapidement, il faut la rabaisser ; il faut la rendre vulgaire. De la même manière qu’Adel, les mots qu’on lui donne l’enferment et ce, dès qu’elle raconte au psychanalyste l’aventure qu’elle a eue avec un collègue après avoir soigné les blessés du Bataclan :
« Il a baissé son froc… Ça vous choque ce que je raconte hein… C’était énorme… »
Après en avoir fait un homme déséquilibré et vulgaire, il va falloir désormais comprendre pourquoi Adel en est là. Il va falloir le soigner, alors le psychanalyste va le faire parler de son enfance. Le cliché était inévitable mais encore une fois, gênés par cette difficulté d’écriture, les scénaristes vont instrumentaliser la parole d’Adel à plusieurs reprises à travers des clins d’œil méta rigolards : « Bien sûr vous voulez que je vous parle de mon enfance ! ». Durant les épisodes où apparait Adel, petit à petit il semble évident que la question à laquelle les créateurs d’En thérapie veulent répondre est non plus pourquoi cet homme surentrainé perd pied après le Bataclan mais plutôt pourquoi est-il devenu membre de la BRI ? Un imam lors d’une opération l’insulte de traitre, son psychanalyste lui explique qu’il a peur d’être « ramené à l’identité de l’arabe » et Adel fait un rêve dans lequel l’ennemi contre lequel il se bat, l’Autre, a en réalité son visage. Le voile de la culpabilité n’a jamais été si lourd et si peu subtile. Pour « sauver » Adel, les scénaristes choisissent de lui faire croire que son visage est problématique, qu’il doit lutter contre l’image qu’il renvoie (s’il se bat contre le terrorisme il ne devrait pas avoir cette tête là) et le mettent face à des contradictions nauséabondes. Il est une anomalie. Ils le font même se justifier et s’humilier : « Je ne suis même pas musulman » se sent-il forcé de nous dire dans l’épisode sept. Petits malins, les créateurs de cette série utilisent le principe même de la thérapie pour condamner leur personnage sans se salir les mains : ils laissent parler Adel. Ils l’écoutent juste et ne sont donc pas responsables de ce qui est dit. Tout vient de lui et le psychanalyste Philippe Dayan en face laisse faire, impuissant.
La vérité d’Adel apparaitra à tous dans le grotesque épisode vingt-sept, dernier épisode dans lequel il apparait. Désormais apaisé, il parle d’une voix calme et reste assis dans le canapé. Pour bien que l’on comprenne les changements qui se sont opérés durant sa thérapie, une lumière quasi mystique vient désormais éclairer son visage et un cabinet jusqu’alors sombre. Les souvenirs lui sont revenus. On comprend que le sang du Bataclan dont il a parlé plus tôt n’est que l’écho du sang du massacre de sa famille auquel il à survécu avec son père et sa mère dans l’Algérie de la décennie noire. Les morts du Bataclan deviennent un ressort scénaristique. Le GIA et Daesh, l’Algérie des années 1990 et la France de 2015, tout se mélange et tout se vaut. Adel se souvient. S’il est devenu flic c’est pour protéger les autres et libérer son père de la culpabilité qui le ronge depuis la mort de sa famille il y a vingt-cinq ans. Les scénaristes vont le convaincre que sa démarche pourtant n’est pas suffisante et qu’il doit aller plus loin encore. « Notre civilisation est en train de s’effondrer et moi je ne peux pas laisser faire ça sans me battre. » annonce plein d’emphase Adel à son psychanalyste. Il va donc partir en Syrie pour combattre les terroristes sur le terrain et y trouver la mort puisqu’on ne lui laisse plus le choix. Son psychanalyste va essayer de le retenir, mais sans trop y croire car Adel doit partir pour être sacrifié. On ira alors à son enterrement. Un épisode sera consacré à son père dans lequel ce dernier accusera le psychanalyste Philippe Dayan de n’avoir rien fait pour l’empêcher de partir se faire tuer. Encore une fois, les scénaristes et les créateurs d’En thérapie regarderont cette scène de loin, dédouanés de tout et contents d’eux, un œil complice pour le spectateur. Avec cynisme, ils nous diront à nouveau qu’ils n’y pouvaient rien ; que c’était écrit.