D’homme en ellipse/ D’ellipse en homme
Ainsi, Isabelle guette « un vrai amour », celui qui ne s’étiolera pas dans les bras d’un homme marié (Xavier Beauvois) qui la voit et le contacte quand bon lui semble, tel un bien de consommation, dans une attitude d’inconséquence et de déconsidération crasse. Ni encore celui qu’elle aurait pu trouver en la personne d’un acteur (Nicolas Duvauchelle), fuyant et confus, faisant un pas en avant, puis un pas en arrière ; ou encore cet individu bourgeois (Philippe Katerine) rencontré à la poissonnerie, cherchant à l’attirer comme dans les filets présentés sur l’étal, parce qu’il a « une maison dans le Lot ». Les hommes qu’elle rencontre sont englués dans leurs atermoiements, toujours davantage prêts à filer, comme le film file d’ellipse en ellipse, se déchargeant d’étoffer une relation en particulier, au profit du « fragment » de la rencontre, comme une succession de saynètes, éclatements et réflexions sentimentaux inspirés à la cinéaste par le bel ouvrage de Roland Barthes Fragments d’un discours amoureux (1977). Ce qui ne s’échappe pas et donne sa matière au long métrage, c’est l’engagement affectif d’Isabelle, la sincérité de sa personne, prête à donner encore et toujours, ouverte et poreuse à l’autre.
La logorrhée face à l’in-carnation
Juliette Binoche, peau douce et lumineuse, campée dans de conquérantes cuissardes, des mini-jupes vernies et un blouson de cuir, est l’incarnation d’Un Beau soleil intérieur, en jeu comme en corps, voix intérieure qui déborde, directe et vivante, beau portrait de femme et seule présence tangible face à des hommes qui se jouent des mots, de l’engagement d’une parole (ainsi du « je t’admire, (…) tu es une femme extraordinaire » que lui dit le banquier, provoquant un malaise, devant son aisance à employer des mots forts sans y injecter le sens à leur hauteur), d’une logorrhée qui ne vaut que pour elle-même, de l’instant, avec ses caractéristiques sociales, son automatisme désincarné. Un Beau soleil intérieur échappe de peu à son accoutrement bourgeois (une artiste parisienne, qui n’a pas d’autres aléas que ceux des sentiments), mais opère un décalement de son personnage dans son milieu, qui permet d’éviter un marivaudage sentimento-social agaçant. « Tout est à vous » criera Isabelle en colère à un groupe de galeristes et d’artistes admirant un paysage de campagne désert. Tandis qu’Isabelle a le désir pour elle, en elle, sa fulgurance (se rapprochant d’un autre film de Claire Denis, Vendredi soir –1999) offrant une authenticité pleine et généreuse, une flamme jamais éteinte, qui rend le film, malgré ses successions de séquences d’amour éconduit et de lâcheté humaine, très agréable à vivre, tout entier qu’il est.