Truman

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Lauréat des Goya du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur (entre autres), Truman est un film émouvant sans être larmoyant

Un homme dit au revoir à ses enfants, puis à sa femme qui l’encourage : s’il n’entreprend pas ce voyage, il le regrettera. Il hésite encore une fois puis franchit la porte et s’en va, tout de même, pour un long voyage qui le mènera du Canada jusqu’en Espagne. Qu’a-t-il de si compliqué à faire là-bas qu’il doive s’armer d’autant de volonté ? Aller frapper à la porte de Julian, son meilleur ami, et passer quatre jours avec lui à Madrid, où ils se sont quittés il y a de nombreuses années. Si les raisons de ce retour sont gardées quelque temps secrètes, l’émotion qui les étreint et la mauvaise toux de Julian ne trompent pas : il est gravement malade. Leurs retrouvailles sont aussi des au revoir.

 

Un tel synopsis peut susciter des craintes ; encore un mauvais mélodrame qui cherche à tout prix à déshydrater son public à force de pleurs incontrôlables. Sauf qu’il n’en est rien dans le cas de Truman. Cesc Gay réussit à trouver, du début à la fin, l’équilibre entre toutes les émotions qui traversent les personnages et s’y mélangent ; la gêne face à la tristesse de l’autre, l’énervement face à une désinvolture forcée, l’impuissance et la joie. Aucune parole définitive n’y sera prononcée, aucune morale n’y sera dispensée, il ne s’agit ici que de quelques personnes qui agissent comme elles le peuvent face à une séparation irrémédiable contre laquelle elles ne peuvent rien. Comme le dit Julian à Tomas, chacun meurt comme il peut et la sienne a de quoi désarçonner ses proches. Comédien de profession, il le reste à la ville, même malade, voire surtout malade. Tous les soirs au théâtre, il est Valmont, le séducteur désabusé des Liaisons Dangereuses ; le reste de la journée il endosse le costume de ce qui sera selon toute probabilité son dernier rôle, celui de l’homme qui ne voulait pas craindre la mort. Il ne se contente pas de tenir le premier rôle de ce drame personnel, il prétend aussi le mettre en scène. Julian veut tout organiser, des dialogues aux réactions et aux déplacements de ses partenaires de jeu, plus ou moins consentants pour jouer selon ses indications. Mais comme dans tout mise en scène bien huilée, il y a toujours maille à partie avec l’imprévu ; la désobéissance des autres acteurs par exemple ou, plus embêtant, le fait que la mort s’invite plus concrètement que prévu dans la partie.

Arrêter les traitements, mettre son chien qu’il adore à l’adoption (le Truman du titre), sont autant de décisions prises unilatéralement par Julian qui peuvent aussi être vues comme du cabotinage, une manière de dompter la mort en lui imposant son propre rythme. Alors quand celle-ci veut lui voler la vedette, sa légèreté et son assurance chavirent ; que ce soit la visite à une entreprise de pompes funèbres ou un employeur qui décide de le remplacer, ces évènements résonnent comme de petits au revoir avant le tomber de rideau. Sa disparition prochaine se profile par touches, et s’il arrive que l’on oublie que Julian est malade, chacun de ses rappels aussi anecdotiques puissent-ils paraître secouent profondément les personnages. Que dire, que faire, que taire ? Le premier face à face entre Tomas et Julian, où aucun mot n’est prononcé tout de suite, annonce le ton du film. Ces deux-là sont amis et n’ont aucun besoin de le dire. Tout ce qu’ils pourraient s’avouer, se déclarer, serait superflu ou peut-être trop solennel pour eux qui souhaitent avant tout profiter de leur quatre jours ensemble en rigolant, en buvant, en s’engueulant, en faisant ce qu’ils ont envie de faire, même si chaque soirée a un goût de trop tôt. Cette amitié sauve le film du pathos, qui semble tout entier être allé se loger dans les regards que pose Truman sur son maître, comme s’ils étaient le reflet de toute la peur et la tristesse éprouvées par Julian.

Titre original : Truman

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Durée : 108 mn


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