D’entrée de jeu, Tip Top désarçonne avec une séquence d’ouverture mettant en scène un François Damiens plus faux que nature. Ça tombe bien, on se rend compte dans la séquence suivante qu’il s’agissait justement de jouer la comédie pour sauver la peau d’un indic. Tip Top est fait de cela : des ruptures ou des contrepieds – voire même des contrepoids – réguliers qui détournent le film de l’évidence qui semblait s’offrir à lui. Le chemin est alors forcément un peu chaotique. Damiens y joue un inspecteur dont l’indic a été tué et qui se retrouve avec la police des polices aux basques afin de vérifier que le protocole a bien suivi son cours. Le charme de Tip top, c’est le duo Huppert/Kiberlain en membres de l’IGPN, Bozon exploitant au possible l’image de marque des deux actrices et leurs contrastes naturels : la mère fouettarde contre la molasse, l’autorité pète-sec d’Huppert et l’aspect godiche de Kiberlain – se payant même le luxe de faire dire à cette dernière : « J’aurais surtout besoin d’avoir l’air moins godiche ». Il est alors bien plus fascinant de regarder chacun se débattre avec son image plutôt que de s’en tenir à une enquête parfois difficilement compréhensible (à ce titre, il est difficile de percevoir l’intérêt et le but de la question arabe, pourtant centrale dans le film) et qui, au vu de son inachèvement apparent dans le film, n’est manifestement pas la cible du réalisateur.
« Pendant que je faisais le show pour la galerie, moi j’avançais. »
Comme souvent dans la comédie burlesque – et ce depuis ses origines muettes que Tip Top évoque souvent -, c’est de corps qu’il s’agit, de corps mis à (rudes) épreuves et à même de transcender les situations. La direction d’acteurs est ainsi ultra précise dans le timing (la scène entre Huppert et son supérieur, la brève mais mémorable scène de l’ascenseur), déplaçant de quelques secondes les gestes pour accentuer le décalage comique. Bozon montre des corps au travail, mieux, des corps déformés par le travail : Huppert et Kiberlain policières enquêtant sur des policiers sont alors constamment en représentation, surjouant un rapport nécessaire d’autorité de flic à flic, mais aussi de femmes à hommes. Les rapports publics se font sur le mode d’une théâtralité excessive (la mise en scène par Huppert de l’arrivée au commissariat) reconnue par les personnages eux-mêmes : « Ces arrivées dans un service, ça me fatigue ». Au-delà de cette théâtralité de façade, ce qui semble s’instaurer ou se révéler, ce sont des rapports naturels d’autorité chez des personnages fonctionnant en binômes : le supérieur/son subalterne, good cop/bad cop, le flic/l’indic, le meneur/le benêt… Avec son duo d’enquêtrices choc (au sens propre du terme), Bozon insiste sur les deux polarités excessives possibles dans la police : le frappeur et le mateur – conception peut-être contestable, mais farouchement drôle dans le film.