Il y a quelques mois, la réédition de Malher (1974) déjà proposée par BQHL nous avait permis de mettre en lumière dans notre article la maestria et la folie dont Ken Russel a fait preuve pour dynamiter le biopic musical. Première expérimentation en la matière, The Music Lovers est celle qui lui a tenu le plus à cœur, car au-delà de l’admiration sans limites qu’il a toujours vouée à Tchaïkovski, Russel estime, tout simplement, lui devoir « son retour à la vie » – Le commentaire de Rafik Djoumi, dans le bonus de l’édition revient notamment sur cet aspect.
Si la passion de Russel, ne saurait prendre la forme d’un panégyrique obséquieux ou scrupuleusement biographique, c’est sa flamme pour l’immense compositeur russe qui va innervée chacune de ses séquences, chacun de ses plans. Faisant de The Music Lovers un bouillonnement quasi incessant; symphonie musicale -évidement-, spectacle de danses, de couleurs, de mouvements de caméra, pour sublimer, surdramatiser le moindre souffle d’émotion. D’aucuns crieront au trop plein, reproche adressé également à Kirill Serebrennikov pour La femme de Tchaïkovski (2022) qui aborde sous un autre point de vue une partie des faits historiques évoqués ici. Certes, si la démesure de Russel peut par moments tourner à la démonstration de force, pourquoi refuser les parfums enivrants de la virtuosité. Une succession de tableaux flamboyants ou sombres au gré des humeurs et des circonstances, des acmés opératiques comme la scène d’ouverture où s’invite toute la troupe qui va graviter pendant deux heures dans cet univers fantasmatique et dramatique.
« Ma vie est une comédie noire absurde » clame Piotr Tchaïkovski. Rare moment de lucidité, de calme, car le destin du génie est marqué du sceau de la folie. Ses propres traumatismes, le cauchemar de la mort tragique de sa mère le hante en permanence, la hantise que ses penchants homosexuels soient révélés à la société et ruinent sa carrière. La nymphomanie de Nina Miliukova, qui réussira à devenir son épouse. Et la passion sensuelle et pourtant platonique – car uniquement liée aux frissons de la musique et et partagée à distance – de Nadezhda Filaretovna von Meck, sa mécène. Russell, organise et surtout désorganise ces ballets insensés et incessants. Le réalisateur excelle dans cet art, marionnettiste de l’effroi hors-pair, il n’aura de cesse tout au long de son œuvre de convoquer Les diables (1971) pour sublimer les pièges de l’enfermement. Les lignes de dialogues étant réduites à la portion congrue – l’idée d’un film muet aurait titillé Russel-, les comédiens se livrent corps et âme pour catalyser les émotions. En haut de l’affiche, La fougue et la fureur d’un Richard Chamberlain, lui même musicien, dans la peau du maestro russe, et Glenda Jackson qui fait feu de tout bois avec une malice et un second degré savoureux dans les habits trop serrés de Nina.
Plongez sans réserve dans les folles passions de Music Lovers – La Symphonie pathétique (Sortie en format DVD et Blu ray chez BQHL). Entretien avec le journaliste Rafik Djoumi,