The Limits of control

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Objet poétique, contemplatif, un rien abscons, le nouveau film de Gentleman Jim tente l’expérimentation, interroge l’image, mais reste sous influence. Élégant, mais pas inoubliable.

Déroutant, planant, élégant, mais pas nécessairement entêtant. Curieusement, alors que The Limits of control convoque, comme souvent chez Jim Jarmusch, nombre d’ombres tutélaires (Point blank de Boorman, Le Samouraï de Melville, ou Antonioni de façon diffuse et répétée), ce ciné-fils accompli semble, cette fois, un cran en dessous. Élève, plutôt que maître – celui qu’il a su pourtant être depuis l’orée des années 80.

Surtout, tandis que l’on y retrouve ses motifs familiers (des scènes d’attente mutiques, un sens de l’absurde à la Buster Keaton, des figures mystérieuses croisées tout au long d’un parcours solitaire), et tandis que l’on espère alors l’ampleur métaphysique de Dead Man ou de Ghost Dog, ses deux sommets, jamais l’on n’est happé. Ni transcendé. Pourquoi ? Peut-être parce qu’en se laissant tenter par un semblant de liberté (pas ou peu de scénario), d’expérimentation (la couleur, comme rarement dans aucun de ses films) et de dépaysement (l’Espagne), le cinéaste le plus rock’n’roll du septième art révèle, au fond, qu’il n’est jamais meilleur que dans l’épure et le cadre, même (surtout) lorsqu’il nous parle de dérive !

De fait, cette nouvelle œuvre résolument poétique – une citation de Rimbaud en exergue – semble assez vite absconse et indolente, à force de jouer à cache-cache avec les codes (le film de genre), les citations, et surtout les concepts (la manipulation, et donc le cinéma)… Pour son onzième long métrage, il semblerait bien que Gentleman Jim ait quelque peu buté sur l’ornière du film « arty », aïe !

A contrario

Le moindre paradoxe, en tout cas, c’est ce sentiment de surplace, alors que le personnage principal – d’une lenteur choisie, certes – traverse l’Espagne, de Madrid à Séville en passant par Almeria. Est-ce, précisément, pour lui donner raison ? Laconique, comme le sont la plupart des héros du réalisateur new-yorkais, ce tueur professionnel, adepte de tai-chi, laisse entendre, en effet, que « pour [lui], la réalité est arbitraire » . En somme, que la frontière entre le réel et la perception que l’on s’en fait est floue, voire inexistante. Well… L’assertion est d’autant plus importante – et ironique – qu’elle émane d’un homme excessivement méticuleux, jusqu’au-boutiste dans sa mission, et apparemment paisible en dépit du chaos qui l’entoure (à l’image du metteur en scène ?).

Placé sous ces auspices contradictoires, et puisque Jarmusch a piqué son titre à celui d’un essai de William S. Burroughs, The Limits of control tient, de fait et littéralement, ses promesses… mais a contrario. The Limits of uncontrol (ou soi-disant) : tel pourrait être le sous-titre alternatif de l’exercice. Assez vite, l’expérimentation d’un présent permanent débouche sur une impression de collage (parce que, pour le coup, l’épure du scénario frise le vide ?). Façon sketch, mais à répétition. Quant à la dilatation, du temps comme de l’espace, elle séduit essentiellement pour des questions esthétiques. Beau travail de Christopher Doyle, évidemment : le dérèglement des sens étant à l’ordre du jour, les plans s’enchaînent, qui entretiennent la confusion, ou qui jouent sur la couleur et son impact émotionnel. Et les décors – architectures, ruelles, places, maisons extraordinaires – intriguent davantage que ce qui se dit.

Nulle faute, pour autant, à chercher du côté de la distribution, royale comme toujours (John Hurt, Tilda Swinton, Gael Garcia Bernal, Alex Descas et Jean-François Stévenin sont épatants). Même la plastique, belle mais assez impénétrable et immobile, d’Isaach de Bankolé fait sens. Non, tout simplement, peut-être que Jarmusch, en se défiant lui-même (les papiers codés comme autant de signes jamais explicités, idem pour les boîtes d’allumettes, aussi visuelles qu’énigmatiques, etc), se leurre dans le tape à l’œil. On ne saurait lui en vouloir… D’une part, sa mise en scène reste d’une élégance rare : à l’oreille, notamment, la musique étant une fois encore un outil de sensualité et de mystère judicieux. Et d’autre part, il est bien le seul auteur américain, aujourd’hui, à pouvoir s’égarer ainsi sans se perdre.

Titre original : The Limits of Control

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Durée : 117 mn


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