The Irishman

Article écrit par

Une super-production Netflix dirigée par un Martin Scorsese inégalable et un trio d’acteurs cultes : Robert De Niro, Al Pacino et Joe Pesci, qui nous livrent une performance remarquablement authentique

Trois ans après Silence (2016), Martin Scorsese revient cette fois avec un film sorti non pas dans les salles françaises, mais sur la plate-forme de streaming Netflix. Présenté au festival du film de New York, puis au festival Lumière à Lyon, c’est bien sur leur téléviseur et autres écrans connectés que les spectateurs peuvent à présent découvrir ce long métrage approchant les 3h30. Mais, quid de cette collaboration inattendue entre le média populaire Netflix et ce grand nom du cinéma ?

The Irishman est un film biographique retraçant le parcours de Frank Sheeran, dit « The Irishman » (Robert De Niro), ancien soldat de la Seconde Guerre Mondiale, devenu voleur, escroc et tueur à gages pour le compte de la mafia, et ayant côtoyé les grandes figures du siècle dernier. Le film relate également la mystérieuse disparition du célèbre dirigeant syndicaliste Jimmy Hoffa (Al Pacino).

La signature Scorsese

Habitué des films de gangsters, Martin Scorsese signe ici, une fresque grandiose au sein de la mafia new-yorkaise. Nous retrouvons un mélange de thèmes récurrents chez Scorsese qui forment un cocktail détonnant. Entre guerres de gangs et luttes de pouvoir, The Irishman dévoile les rouages du crime organisé new-yorkais qui fascine tant le réalisateur (Les Affranchis, Gangs of New-York). À la fois touchant et révoltant, ce film abolit le manichéisme dans la représentation du système mafieux, le spectateur peut ainsi éprouver de la compassion comme du dégoût envers ces criminels qui ont marqué l’histoire. La mise en scène de Scorsese accroît la proximité entre les personnages et le public. De plus, le réalisateur fait appel à de grands noms des films de gangsters dont le trio tête d’affiche (Robert De Niro, Joe Pesci, Al Pacino) propose une prestation absolument sensationnelle qui nous plonge avec authenticité dans l’histoire du crime organisé. Comme à son habitude, Scorsese dépeint des règlements de comptes épiques avec des assassinats d’une rare brutalité. Ceci est appuyé par une esthétique choc, sanguinolente et percutante ponctuée de ralentis musicaux à la fois tragiques et poétiques.

Un duo d’acteurs magistral !

Pour The Irishman, Scorsese rassemble deux symboles du cinéma italo-américain : Robert De Niro (neuvième collaboration) et Al Pacino (première apparition dans un film du réalisateur). Avec cette rencontre cinématographique exceptionnelle, Scorsese fait un véritable coup de génie. Cela devient même le principal argument du film. Les deux acteurs se donnent la réplique avec une telle complicité qu’on en oublie presque l’aspect fictionnel. Si De Niro campe un personnage plutôt sérieux et tempéré, Al Pacino apporte une touche d’humour désinvolte avec une performance contrastée, à la fois tendre et impitoyable. Le travail opéré par Martin Scorsese avec ses acteurs (adultes comme enfants) est vraiment remarquable.

Un rapport au temps particulier

The Irishman est une longue fresque dont la durée conséquente (3h30) ne se fait pas sentir et qui réussit à nous garder en haleine du début à la fin. Cette œuvre parcourt le temps et retrace plusieurs décennies dont la chronologie non linéaire peut parfois échapper au spectateur. Les effets du temps se retrouvent également sur le casting dont l’apparence évolue en fonction de la temporalité ; ils vieillissent et rajeunissent d’une scène à l’autre. Malheureusement, le traitement réalisé pour permettre cela a tendance à rendre l’image et les visages trop lisses, ce qui enlève un peu de réalisme au film. L’œuvre dénote une certaine nostalgie chez Frank Sheeran qui nous raconte son histoire et emmène le spectateur dans un voyage à travers ses souvenirs. Quant à la musique, elle nous plonge également dans une atmosphère à la fois nostalgique et dramatique.

Par ailleurs, Scorsese s’intéresse ici à la famille, aux relations complexes générées par l’appartenance, voulue ou subie, à un gang, et à l’influence du temps sur les rapports familiaux. On constate que les liens du syndicat deviennent parfois plus forts que les liens du sang. Les personnages se retrouvent tiraillés entre loyauté, devoir et sens moral.

Ainsi, avec The Irishman, Scorsese signe une grande œuvre, colorée et percutante, qui ne peut nous laisser indifférents. On pourrait cependant regretter l’exclusivité Netflix car la diffusion en salle ne ferait qu’accroître son impact.

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 210 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…