The Deep Blue Sea

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Passion dans une chambre automnale.

The Deep Blue Sea s’ouvre sur la tentative de suicide d’une femme, Hester Collyer (Rachel Weisz). Dans une petite pièce ouatée, aux couleurs automnales, le concerto pour violon de Samuel Barber accompagne ce geste ultime, montrant l’écorchure en jeu au son de l’extrême aigu de l’instrument. Hester Collyer s’allonge sur le sol, près d’un chauffe-eau libérant un gaz l’asphyxiant et emportant par là même le spectateur dans son brouillard, alors qu’un plan en plongée fait l’alliance de ce corps lové et de l’engourdissement d’une étreinte échangée auparavant avec son amant Freddie Page (Tom Hiddleston). D’une manière éthérée et troublante, à travers un fondu enchaîné diffus, Terence Davies lie l’acte irréparable à la passion charnelle d’Hester, au cœur de ce mélodrame adapté de la pièce de théâtre éponyme (1952) de Terence Rattigan.


Une chambre à soi

À partir d’une trame narrative à une seule voie et pour le moins classique – un triangle amoureux qui voit Hester, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, le juge Sir William (Simon Russell Beale), s’éprendre de Freddie, dans un Londres nocturne et ambré d’après-guerre –, Terence Davies déplace les enjeux du récit vers ceux de l’image et du montage. Comme confiné dans une seule pièce, la chambre feutrée et mordorée d’Hester, le film s’évade de ce (presque) seul espace vers les méandres et souvenirs de la liaison amoureuse de cette femme, comme les effluves de fumée qu’elle répand en enchaînant les cigarettes. Multipliant les fondus fantomatiques et les flashes-back subreptices, avec pour seule liaison les errements des sentiments d’Hester, le cinéaste crée un espace-temps plus mental que réel, une atmosphère qui laisse groggy, décompose et recompose le déroulement de la relation de Freddie et Hester, jusqu’à leur rupture. La chambre au décor opiacé sert autant d’antre amoureuse aux entrevues des deux amants qu’elle est le lieu intime de l’investissement émotionnel et psychologique de l’héroïne. Chevelure de jais et visage diaphane, Rachel Weisz offre une présence vaporeuse et intemporelle à l’écran.

 

 

Nostalgie londonienne

De ce déclin moiré qui envahit le long métrage émane une sensation de nostalgie qui imprègne bien des œuvres du cinéaste britannique. Ici, le Londres des années cinquante qu’il filme est une ville aperçue furtivement au coin d’un pub, majoritairement de nuit, comme passée, figée. Les émanations de bière n’y sont qu’à moitié joyeuses, les échanges tamisés, à l’image de ce plan où un ami de Freddie se détache dans une obscurité qui l’isole, un fond noir semblant l’extraire de la réalité. Les décombres de la guerre laissent planer leurs fantômes, comme le suggèrent les souvenirs traumatisants qu’évoquent Hester et qui marquent Freddie, ancien pilote de la Royal Air Force. À l’instar des chants régionaux qui, dans Sunset Song (2015), accompagnaient les hommes dans une Écosse à l’aube de la Première Guerre mondiale, Terence Davies ne manque pas ici de caractériser une Angleterre ancrée dans un temps déjà passé, à la fois beau et cafardeux.

Mélodrame fugace

The Deep Blue Sea se livre comme un papier au faible grammage, fragile et concentré dans sa présence d’apparition, par une incarnation visuelle envoûtante et déroutante, échappant au classicisme malgré quelques passages poseurs. Les aléas sentimentaux, qui émergent d’une société corsetée où le plaisir physique est un tabou perdant contre la raison, encore plus lorsqu’il est vécu par une femme, se comprennent dans l’évanescence des plans, les détails de la chambre (les rideaux, les gants de Freddie), la simple présence commune dans l’espace des deux personnages. Le cinéaste loge le lien amoureux comme il logerait un fragile secret dans une boîte de velours épais et la sensibilité de ce mélodrame se perçoit dans sa réussite formelle, la fugacité d’un passage de plan à l’autre, leur profonde sensorialité et l’image séraphique du grain de la pellicule.

Titre original : The Deep Blue Sea

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Durée : 108 mn


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