Tempête

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Entre docu et fiction, un témoignage poignant sur un marin qui voulait être père

C’est un monde en péril que filme Samuel Collardey dans Tempête, son troisième long métrage où il cumule les casquettes de réalisateur, coscénariste et chef opérateur. Dans le monde de Dom, pêcheur en haute mer tombé comme son père dans le « grand métier » dès 16 ans, rien n’est stable et permanent. Bravant le danger en mer, à l’image de son chalutier balloté par des vagues monumentales, c’est pourtant sur terre que Dom est mis à l’épreuve. D’abord par la grossesse accidentelle de sa fille lycéenne et puis l’estime que son fils, aspirant marin, lui porte. L’histoire s’ouvre ainsi sur une scène de fête en Irlande, loin de son port d’attache et de sa famille, où Dom jubile, boit et chante. Etre un bon père tout en poursuivant sa vocation, le seul métier dans lequel sa vie trouve un sens, voilà son dilemme.

Comme dans ses précédents longs métrages (un docu-fiction, puis un film inspiré d’une histoire vraie) Samuel Collardey refuse ici la fiction pure et joue sur la frontière entre cinéma et réalité, qui a trouvé récemment de belles illustrations avec Mad Love In New York ou Pauline S’arrache. Il a côtoyé Dom, Dominique Leborne de son vrai nom, ainsi que ses proches pendant un an avant le tournage, qui a lui-même duré 11 mois. Tempête est donc le fruit d’un long travail d’approche, et de relations sincères (et visiblement empathiques) avec ses personnages, qui produit un témoignage poignant. Certaines scènes ont été dialoguées, certains éléments de l’intrigue inventé ou réarrangés pour donner au récit son rythme et sa progression, mais le fond des relations entre Dom et son entourage, et la psyché des personnages sont bien réels. C’est l’histoire de Dom qui est racontée et c’est Dominique qui la (re) joue pour le spectateur, avec quelques artifices de cinéma puisque le film est tourné en 35 mm et en scope (bien exploité lors des scènes en haute mer). La caméra organise les plans plus souvent qu’elle ne suit l’action, par quelques travellings biens placés notamment.

 

On peut s’interroger sur ce mélange entre vérité et fiction, qui influence forcément notre perception. Il faut reconnaître à Samuel Collardey d’avoir choisi un sujet fascinant, d’avoir trouvé ce personnage (car Dominique Leborne crève l’écran, son physique d’acteur est de ceux que l’on oublie difficilement, et dont les expressions sont extrêmement communicatives) et d’avoir su le mettre en scène avec doigté, d’avoir identifié les éléments dramatiques de son histoire et d’avoir réussi à présenter en 1h30 sa vie, celle de ses deux enfants, leur passé et leur avenir. Savoir que ces personnes existent et que ces situations se sont produites décuple la puissance du film, l’enjeu n’est plus la qualité du scénario mais la charge politique et émotionnelle indéniable d’une réalité (re) mise en scène.

Cet investissement personnel pose aussi problème, puisque le contrat de base du film, le fait que les « acteurs » aient accepté de se prêter au « jeu », repose sur une promesse de ne pas les présenter sous un mauvais jour. Et ce contrat pose forcément une limite au réalisme, puisqu’en collaborant avec le réel, on s’empêche de l’exploiter totalement. Samuel Collardey ne peut pas montrer la part sombre de ses personnages, ou leurs faiblesses, qui font d’eux des êtres humains. Après tout les acteurs servent à ça : exprimer ce que les conventions sociales nous empêchent de dire ou de faire. Il faut donc garder une distance critique vis à vis de ce cinéma semi-documentaire, qui en voulant cumuler les puissances de la réalité et de la fiction n’élimine pas leurs faiblesses : elles apparaissent ici sous la forme d’une empathie peut-être excessive pour Dom, dont les défauts et les erreurs sont in fine peu évoqués. 

 

Fort de cet ancrage réaliste, Tempête reste un film émouvant, une peinture où les enjeux de la relation père-fils, et père-fille ont rarement été aussi bien dessinés, sans artefact. Au travers de cette famille décomposée, où un père trop absent élève seul deux enfants, Samuel Collardey montre surtout la force de sentiments filiaux qui se soucient peu de structures traditionnelles. Les scènes les plus réussies sont celles de dialogues intimes, entre Dom et sa mère, puis avec son fils, comme cette partie de scrabble ou ces travaux de peinture qui tournent immanquablement en dispute de gosses. Et surtout, ce dialogue d’une rare puissance où Mailys raconte à son père, qui n’était pas présent, son avortement. La scène a été directement organisée par Samuel Collardey, par et pour sa caméra, tordant le réel pour construire son film, si bien que l’on se demande qui, in fine, sort grandi de ce beau moment de cinéma.

Titre original : Tempête

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Durée : 89 mn


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