Filmer la fin ouverte
Vingt ans plus tard, Danny Boyle fait de ce hors-champ un nouveau film. Et forcément, c’est décevant. Après avoir refait sa vie à Amsterdam, Renton est rappelé à Édimbourg pour une raison obscure, laissant cette impression un peu lourdingue qu’il était simplement voué à être recraché dans son terreau natal. Il rend visite à ses deux vieux copains, Spud et Sick Boy. Très vite, sa présence ravive un souffle adolescent chez eux, les poussant à relancer les affaires ensemble. Conscient de l’institution qu’était son premier film, Danny Boyle filme la ville et les personnages vieillissants comme une grande visite guidée empreinte de nostalgie.
Une histoire de dépendance au passé
On l’aura vite compris, le passé est la seule denrée dont disposent les personnages. Le problème, c’est que c’est aussi le cas pour le metteur en scène, qui ne sait plus trop quoi faire pour réactualiser sa franchise. Bien que l’image pellicule granuleuse de l’original ait cédé sa place au numérique, que les hallucinations mécaniques ont mué en images de synthèse, et que les lecteurs cd se sont transformés en smartphones, la mise en scène ne parviendra qu’à répéter une seule idée d’un bout à l’autre du film : les jeunes sont devenus des has-been condamnés à se répéter, alors que le monde, lui, n’a cessé d’évoluer.
En conséquence, la mise en scène « à effet », si caractéristique du cinéma de Danny Boyle, semble en roue libre, fonctionnant indépendamment de la narration. N’ayant finalement qu’assez peu de choses à raconter – l’intrigue est quasi-inexistante – le film donne l’impression d’une pure stagnation dans un espace sur-découpé, clipesque et souvent saturé de couleurs, comme un moteur à explosions dont la transmission serait au point mort. Les personnages ayant perdu leur jeunesse, leur fougue et même l’héroïne – qui justifiaient l’usage d’une profusion dans l’imagerie –, les effets apparaissent tristement comme une suite de fausses notes. Le meilleur parti-pris aurait peut-être été d’assumer la force mélancolique du projet, de révolutionner la forme de l’objet original en la déconstruisant, en l’épurant considérablement, afin d’en dégager toute la grisaille, et le devenir morne de ces existences.
Face à ce constat, il faut se poser la question de l’intérêt initial du projet. Car tout le vertige du premier film advenait de la fulgurance de ces corps, incarnation d’une jeunesse insoumise, souffrante car en excès de conscience (du moins pour le personnage de Mc Gregor), et consommant leur vie comme une cigarette. On ne payait pas bien cher de leur peau à l’issue de l’aventure, mais leur avenir n’appartenait malgré tout qu’à eux, car précisément, leur destin appartenait au hors-champ… jusqu’à aujourd’hui, et c’est bien dommage.