La seconde guerre mondiale, aux éditions Harlequin.
Le best seller de l’année 2004 était un livre posthume. Au moment de son arrestation, son auteur Irène Némirowsky, laisse derrière elle des valises remplies de carnets que sa fille refusera pendant longtemps de lire, croyant à des journaux intimes. Au lieu de cela, ce sont les deux premières parties d’un roman, pensé à l’origine en cinq volets, qu’elle découvre en retranscrivant l’écriture serrée de sa mère. Tempête en juin, sur le chaos de l’exode de 1940, et Dolce, histoire d’amour pendant l’Occupation, seront alors regroupés et publiés sous le titre de Suite Française. Du troisième tome, il n’existe qu’une ébauche, des quatrième et cinquième, rien du tout. En adaptant ce roman de Nemirowsky, Saul Dibb s’empare donc d’une œuvre inachevée, voire d’un morceau d’histoire incomplète puisqu’il se concentre exclusivement sur l’intrigue de Dolce.
Lucille Angellier (Michelle Williams, tout en chastes regards fuyants et lèvres tremblotantes), dont le mari a été fait prisonnier de guerre en Allemagne, vit avec son acariâtre belle-mère (Kristin Scott Thomas, coiffée comme le Dracula de Francis Ford Coppola) dans une grande maison austère. La pauvrette s’ennuie, à part suivre sa marâtre récolter les loyers des fermiers alentour, elle n’a rien à attendre de sa petite vie si ce n’est le retour d’un mari peu aimé. La guerre, et l’arrivée des Allemands en juin 1940 viennent bouleverser le cours de leurs vies en les contraignant à héberger le lieutenant Bruno van Falk (Matthias Schoenaerts). Si Madame Angellier refuse de lui adresser la parole, Lucille est vite attirée par le beau blond, néanmoins ennemi. Roméo et Juliette rejouant Le silence de la mer ? Loin de là !
En réalisant ce film, Saul Dibb souhaitait mettre en valeur le point de vue des femmes sur cette période, souhait selon lui quasi inédit dans le paysage cinématographique actuel, ce à quoi on pourrait d’ores et déjà lui répondre : et Black Book (Paul Verhoeven, 2006), c’est du poulet ? Qu’importe, voyons donc le point de vue de cette Lucille Angellier. Lucille est attirée par Bruno. Il est grand, il est beau, il est là mais comme personne n’est parfait il est nazi. Du moins le croit-elle, aveuglée qu’elle est par ses préjugés qui voudraient qu’un homme portant l’uniforme du III° Reich soit très méchant. Certes c’est un gradé, mais s’il a tué des gens c’était à cause de son métier ; le travail ne rend pas si libre que ça, il faut bien obéir à ses supérieurs. Mais Lucille a encore des réticences. Jusqu’à ce que Bruno joue du piano ; car ce qu’il aime lui ce sont la musique, l’amour et l’art. Un Allemand, oui, un soldat, bien sûr mais un artiste avant tout. Nazi c’est juste pour gagner sa vie. Et puis son mari la trompait avant la guerre alors elle a bien le droit de l’aimer après tout, contre le regard des autres, de ces villageois français mesquins bien prompts à la juger et à écrire des lettres de délation. Tout l’inverse de son Bruno qui lui les brûle parce que la délation ça le rend malade.
Nous savons depuis longtemps que le nazisme n’a pas été créé par une colonie alien implantée sur Terre, mais par des êtres humains avec ce que cela implique de complexité et de paradoxes, et notre mauvaise foi n’a pas pour but de remettre ces évidences en doute. Ce que le réalisateur trouve formidable, et qui est précisément ce qui plombe son film et le rend nul et non avenu, vient du fait que ce film de 2015 est adapté d’un livre de 1942 écrit « sans recul » selon ses propres mots. Hormis le fait qu’une telle histoire ne choque plus personne aujourd’hui (il est en effet fort peu probable qu’un spectateur soit pris de l’envie subite de tondre Michelle Williams), Suite française est surtout d’une naïveté confondante.
En raison de la guerre, le village de Bussy, petit théâtre champêtre coincé entre deux champs de blé Petit Lu, est essentiellement peuplé de jupons qui se languissent de l’absence des pantalons. Hélas, tous les hommes forts sont partis au front et seuls sont restés les recalés c’est-à-dire les vieux, les estropiés et les curés. Avec l’arrivée des Allemands, c’est le grand retour de la testostérone en milieu rural : ils respirent la jeunesse et la santé, se baignent nus dans les étangs et offrent aux jupons le spectacle d’une virilité oubliée. La guerre réduite au mieux à une anecdote, au pire à un folklore local.
Si tout ça nous traverse l’esprit, c’est que le film ne présente aucun intérêt ni sur le plan esthétique, ni sur le plan de la mise en scène d’une totale platitude. Saul Dibb filme le petit doigt en l’air : la guerre sans trop de victimes, la passion sans trop de corps, la Résistance sans engagement (une simple poule peut changer un homme) pour un film sans cinéma.
Trois ans après son court-métrage Adami, « L’arche des Canopées », Céline Sallette revient à Cannes et nous confirme qu’elle fait un cinéma de la candeur.