S’inspirant sans doute intentionnellement du titre d’un chef d’oeuvre de Julien Duvivier, Sous le ciel de Paris (1951) dans lequel entre autres une mère retrouve son enfant grâce à une vieille dame perdue, le film de Claus Drexel ne peut se voir et s’apprécier que comme un conte. Toute autre approche, notamment sociologique ou néoréaliste, serait vaine, inutile et confinerait parfois au ridicule. C’est donc dire qu’il faut le voir comme une métaphore de notre monde actuel et c’est pourquoi le réalisateur, qui avait d’autres possibilités de lieux de tournage, notamment la jungle de Calais, a choisi Paris pour sa beauté et les clochards et les migrants pour leur misère. Le contraste provoqué par ces images magnifiques dues au directeur de la photographie Philippe Guilbert est saisissant. De plus, le film fait référence explicite à Daumier, à Shakespeare, à Hugo, mais aussi à Chaplin et au conte de Hans Christian Andersen, La petite fille aux allumettes. Et c’est pour cette référence que Claus Drexel a tenu à ce que la rencontre entre la mendiante et le petit garçon se fasse grâce à la lueur des allumettes. Daumier pour la caricature et l’humour, Shakespeare pour la magie et la poésie, notamment celles des sorcières, Hugo pour l’ampleur de ces Misérables. Et bien sûr Chaplin, auquel Catherine Frot s’est identifié, mais peut-être aussi à la Gelsomina de La Strada de Fellini, pour créer le personnage de Christine qu’elle incarne peut-être un peu trop bien. Pour la petite histoire, Catherine Frot, ainsi qu’elle le raconte dans le dossier de presse du film, avait vu plusieurs fois le documentaire de Claus Drexel, Au bord du monde (2014) et c’est après lui avoir écrit son admiration qu’ils se sont rencontrés. De cette rencontre est né ce projet de film autour d’une mendiante sans âge et sans histoire, qui porte le même prénom, Christine, que l’une des SDF du documentaire. De cette Christine, on ne sait pas grand-chose, sinon qu’elle vit en marge de la société, dans un dépôt plus ou moins désaffecté du service du nettoyage de la Ville, qu’elle est un peu folle, qu’elle parle aux oiseaux et se passionne pour le cosmos. Dans le petit médaillon qu’elle va se résoudre à céder pour vêtir l’enfant trouvé, on entraperçoit la photo d’un enfant dont on ne saura rien. Mort, enlevé, retiré de sa mère en raison de sa folie ? Mystère, comme dans tout conte. Mais c’est sans doute cette perte qui n’a jamais disparu de sa mémoire que Christine, elle qui marche si mal (voir la séquence initiale où elle met difficilement ses chaussures), va se démener et courir partout pour retrouver la mère de cet enfant qui lui est tombé du ciel. Elle le rejette dans un premier temps, puis finira par l’aimer à son tour et cet attachement va lui ouvrir à nouveau le monde dont elle s’était nolens volens détachée.
Bien sûr, le réalisateur excelle à filmer la misère. Au bord du monde était non pas le brouillon, mais l’ébauche de ce film de fiction co-écrit avec Olivier Brunhes dans lequel Claus Drexel va se servir parfois d’acteurs non professionnels, dont notamment le jeune Mahamadou Yaffa, dans le rôle de l’enfant de 9 ans, Suli, découvert après un casting de plusieurs enfants. Tout le monde donne le meilleur de soi-même pour illustrer le thème de la misère en milieu urbain, qui a explosé avec la crise migratoire apparue dans les années 2010. Malheureusement, c’est peut-être ici que le film trouve ses limites en filmant de manière trop appliquée l’infilmable, qu’il s’agisse de la grande misère, de l’anonymat qu’elle génère, de la migration clandestine et du silence autour de l’enfance errante. Ces images d’Epinal parfois trop léchées donnent une impression de bien-pensance et d’irréalisme. Fort heureusement, il s’agit d’un conte et nous ne rencontrerons jamais de telles situations dans la vraie vie. Quant à l’interprétation des deux actrices professionnelles, soeurs dans la vraie vie, elle est excellente certes, même si elle semble parfois un peu trop artificielle voire caricaturale, notamment le rôle de la prostituée au grand coeur, interprétée par Dominique Frot. Mais il est vrai que nous sommes dans un conte et qu’il faut bien qu’il y ait aussi des fées Carabosse ou des Lilas et qu’il faut aussi se méfier des apparences.