Diffusion le 19 avril sur Arte – Sortie le 14 mai en salles
C’est un paysage montagneux, paisible. Brusquement, l’image tremble et le bruit des bombes éclate, assourdissant. Ainsi commence Sous les bombes, film qui plonge le spectateur dans la guerre de manière immédiate.
La genèse du film se confond avec l’histoire qu’elle décrit : celle de la recherche que mènent des Libanais, en pleine guerre. Expatriée à Dubaï, une jeune femme rentre précipitamment au pays et y cherche son fils laissé aux soins de sa soeur dans un village du Sud Liban. Pour l’accompagner, elle ne trouve qu’un chauffeur de taxi, originaire de la même région. Tous deux partent donc dans un voyage périlleux, sillonnant villages et couvents, apprenant à se connaître l’un l’autre, elle chiite et lui chrétien, pourtant réunis dans le même drame.
Le drame de la guerre au Liban qui revient en cet été 2006. Elle oppose alors la milice libanaise du Hezbollah et l’armée israélienne qui bombarde lourdement tout le pays. Très vite, le réalisateur franco-libanais Philippe Aractingi (déjà auteur d’une comédie musicale, Bosta) ressent la nécessité de réagir face à des événements qui ramènent son pays à un passé mal cicatrisé. Il fait alors un film à chaud, en prise direct avec ce qui s’y passe, commençant à tourner littéralement sous les bombes.
Outre le contexte dans lequel elle est conçue, le dispositif même de du film est hors norme : avec seulement quatre acteurs professionnels – dont Nada Abou Farhat et Georges Khabbaz, tous deux formidables – il repose pour une large part sur l’improvisation. Toutes filmées par le réalisateur, les scènes relèvent de niveaux différents : certaines sont mises en scène, tandis que les autres sont l’enregistrement – tel celui des amateurs – brut, sans recul, de scènes de bombardements, de débarquement de militaires, de journalistes qui travaillent. D’ailleurs, tous ceux que les acteurs rencontrent dans leur périple ne jouent pas, ils sont eux-mêmes, réfugiés, civils pris sous les bombes, journalistes, médecins, militaires, religieux.
Sous les bombes est une oeuvre totalement aboutie. Malgré le statut hétéroclite des images qui le constituent, le film compose un ensemble cohérent, à la narration tendue et de laquelle les acteurs du film (réalisateur, comédiens, figurants), comme le spectateur, ne décrochent pas. Ce témoignage tout de réalisme et d’urgence délivre en outre un propos passionnant. Aractingi touche, dans ses émotions comme dans sa réflexion, tout en n’étant jamais dans le pathos poussif, ni dans l’interprétation idéologique. C’est qu’il est bien plus animé par la volonté, par le besoin viscéral de regarder la réalité en face, d’affronter ses peurs et sa colère. Il offre alors un film tranchant, sec, où les cadavres sont absents mais où les routes et les maisons, trouées et écrasées, sont l’incarnation d’un paysage mental traumatisé.
Radioscopie d’un pays enlisé dans le conflit, Sous les bombes met en perspective, de manière subtile, les enjeux de ce qu’il filme. Chose rare, il aborde le sujet (véritable tabou au Liban) des Libanais engagés dans l’Armée du Liban Sud au côté des Israéliens, aujourd’hui passés de l’autre côté de la frontière et considérés comme des traîtres par leurs compatriotes. A travers la compléxité du Liban sud, Aractingi dit toute l’horreur de la guerre, l’absurdité de sa répétition et l’enfermement des victimes dans la haine, la colère et l’incompréhension.
Car, en partant sur les traces d’un enfant perdu au milieu du chaos, le film suggère combien la guerre et ses décombres cachent (mal) l’innocence perdue à jamais, cette possibilité d’un avenir serein, loin du déchirement de l’exil et de l’impasse d’une société bloquée.
Et le film de se clore sur une image bouleversante, dont on ne sait si elle est un espoir ou une folie : un enfant caresse la tête d’un adulte, le rassure et lui donne un peu la sensation d’exister – résumé d’une tragédie bien humaine.