Solitaire (Rogue)

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Dans des paysages australiens beaux à en devenir fou, une troupe de touristes affronte un crocodile vorace et effrayant. Un pitch connu, et pourtant, « Solitaire » parvient à prouver sa singularité avec assurance. LA série B de l´été.

Réaliser un film de monstre : un rêve que Greg McLean chérissait depuis bien longtemps, et qui a failli se concrétiser dans les années 90, lorsqu’il démarche les sociétés de production pour vendre son script Rogue, alias Solitaire. Ne trouvant pas les financements, il se rabattra sur un scénario plus facile à tourner au niveau du budget, le fameux et déjà culte Wolf Creek. Un film d’angoisse tétanisant, qui prenait son temps pour amener ses personnages dans l’antre d’un serial killer « aussie », comme on souhaite ne jamais en croiser dans le bush australien. Visiblement amoureux de son pays natal, McLean en a sublimé l’essence en un film : avec ses paysages lunaires (le Wolf Creek du titre est un cratère immense, perdu au milieu du désert), ses routes interminables, sa végétation aride et sa population de rednecks, l’Australie profonde se rappelle à notre bon souvenir, en tant que fascinant paysage cinégénique.

Pour confirmer ce petit coup de maître, McLean a donc ressorti des cartons Solitaire, pour le vendre aux frères Weinstein. Pas forcément la meilleure solution pour s’assurer une bonne promotion en salles, et d’ailleurs, la carrière du film outre-atlantique a été météorique. Injuste quand on voit la qualité du film, qui surpasse sans se forcer nombre de productions américaines du même genre. La force de Solitaire ? Le respect jusqu-au-boutiste de son sujet pourtant maintes fois abordé par le passé, de L’incroyable alligator à Lake Placid en passant par le tout récent Black Water.

Soit un crocodile bien plus gros que la moyenne, un prédateur vorace et, donc, solitaire, qui règne sur un petit territoire fluvial situé dans le Kadaku National Park. Un territoire dans lequel la guide touristique Kate Ryan et son petit groupe, où l’on retrouve notamment un journaliste cynique, vont malheureusement s’aventurer, et s’échouer. A partir de là, les recettes du survival façon Dents de la mer, mixées à la caractérisation des personnages proches d’un film catastrophe, fonctionnent à plein régime. Ménageant les apparitions de son monstre vedette, McLean imagine chaque scène comme un moment de pure tension, basé sur un micro-suspense : qui va se faire attaquer ? quand ? comment ? A ce petit jeu de massacre, l’auteur-réalisateur est très fort, et tire autant parti de ses comédiens (les attachants Radha Mitchell et Michael Vartan), que des paysages naturels dans lesquels il a pu tourner.

Insérant des plans aériens du no man’s land dans lesquels il piège ses personnages, et grâce à une partition à la fois épique et planante signée François Tétaz, McLean donne une dimension quasi-mystique à son aventure en vase clos, malgré le ciel ouvert et les immenses étendues qui entourent l’embouchure du fleuve. Le principe d’identification, et donc de tension, fonctionne d’autant mieux que comme dans Wolf Creek, McLean a souhaité donner du temps à ses personnages pour exister avant que le carnage commence. On peut trouver cela artificiel (à de rares exceptions près, ces futures proies sont tout de même assez unidimensionnelles), mais ce jeu sur l’attente favorise d’autant plus l’immersion, et donc, la crédibilité (mais oui !) du film, qu’il ne traite jamais ses acteurs comme de la chair à pâté, et parvient même à glisser une note de romantisme discret dans son sanglant dénouement. Un exploit en soi, pour une série B aussi codée.

Sans trop en révéler, notons que cette dernière partie de l’histoire confirme le talent incroyable du cinéaste dans la gestion cinématographique d’un espace clos. Le temps d’un affrontement qui renvoie immédiatement à celui de Predator, Solitaire devient une traumatisante épreuve de force, où les nerfs des spectateurs les moins solides seront mis à rude épreuve, tandis qu’à l’écran l’Homme sublime ses instincts les plus primitifs, et laisse de côté les dialogues pour une pure chanson de geste, bien bestiale cela va sans dire. Dans le sous-genre, trop souvent pauvre en imagination, du « film de crocodiles », et plus généralement des ersatz des Dents de la Mer, Solitaire vient de gagner une place sur le podium, à la force des crocs.

 

Titre original : Rogue

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Durée : 95 mn


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