Soap

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Beau sujet (le renoncement à une identité première, la découverte d’un nouvel horizon amoureux) malmené par une mise en scène maniérée à l’excès. Reste la grande beauté d’une magnifique conclusion.

Boy meets Girl… mais Boy se révèle être plus « girl » que Girl… Tel est le point de départ scénaristique du premier long métrage de la jeune réalisatrice danoise, Pernille Fischer Christensen.
Charlotte est une femme libérée de 32 ans, épanouie dans son job, n’hésitant pas à larguer son homme du jour au lendemain, sans autre raison que celle de son simple désir, sa lassitude. Emménageant dans un nouvel appartement, cette dernière requiert un soir les services de Véronica, sa nouvelle voisine. Sauf qu’au final, il apparaîtra que la voisine en question est un voisin…

Le film tire l’essentiel de son charme de ce jeu sur les frontières plus ou moins perceptibles entre les identités, sa dimension « transgenre ». A quel moment un homme se révèle plus femme qu’une femme et inversement ? Quand les pulsions naturelles reprennent-elles leurs droits ? Une femme amoureuse des hommes, des vrais, peut-elle renoncer à sa sexualité devant la perspective d’une nouvelle forme d’amour, peut-être moins physique, mais magnifiquement inédite ?

Reste que la cinéaste ne trouve malheureusement le véritable ton, la réelle pertinence de son idée qu’après une bonne heure d’expérimentations narratives et visuelles assez vaines (voix off sur photos noir et blanc explicitant plus que nécessaire la dimension comique ou psychologique des situations). Soap souffre longtemps d’une forme de second degré déjà annoncé dans son titre. Oui, ces scènes de ménage ont « quelque chose » de très risible, yes, il y a un peu de « soap » dans le quotidien de chacun. Surtout, sa description du mode de vie de ses personnages, avant la possibilité de leur union, agace par l’accentuation facile de leurs caractéristiques : elle baise tous les soirs avec un mec qu’elle n’espère pas particulièrement revoir ; lui, marginal, se prostitue auprès des représentants les plus basiques d’une certaine « norme » (un jeune, un vieux…).

Plus d’une fois, naît l’agacement devant le grand manque de regard de « cinéaste » sur ce qui pourrait pourtant être la plus belle des love story… La fin approche, et l’affaire semble entendue. Puis, survient en dernière instance l’inespéré : Charlotte et Véronica sont comme libéré(e)s du poids de leur particularité, elles apparaissent comme davantage que de vagues prototypes, les pénibles marionnettes d’une représentation post-dogmatique (il y a bien sûr de vieux tics tendance « dogme » dans la mise en scène). Elle se cogne au cœur de son ex, inapte à accepter son départ sans explication. Lui se découvre soudain toujours (encore ?) mâle, laisse parler les poings en un élan tragi-comique. L’histoire prend enfin corps.

Seuls au monde (la dimension théâtrale du projet est perceptible par le refus de filmer les personnages en extérieur, tout reste affaire de porte à porte et de promiscuité), Girl and Boy deviennent le miroir l’un de l’autre. Charlotte découvre en Véronica davantage qu’un transsexuel (il attend l’autorisation officielle de son opération), et redéfinit peut-être même à son contact le concept de « féminité ». Véronica, à l’aube de ce qui sera sans doute sa véritable « naissance », est partagé entre désir pour un corps de femme (avec la manifestation physique qui l’accompagne) et conscience de la portée de son renoncement prochain. Ils se regardent, se touchent, s’embrassent… se fuient, s’insultent, se détestent.

C’est de cette pure intelligence des corps que Soap tire, un peu tard hélas, sa réelle dimension. Plutôt que de chercher à tout prix à faire des scènes, installer un ton choc et décalé, il y avait dès l’entame la possibilité d’une singulière valse des affects et pulsions. Demi-réussite… petit échec.

Titre original : En Soap

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Durée : 104 mn


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