Revenir sur ce film qui a marqué toute une génération de cinéphiles fantastiques est l’occasion de revoir ce qui a tant concouru à placer Tim Burton au rang des réalisateurs à part et, surtout, à faire de lui un cinéaste générationnel. Effectivement, son univers ne survivra pas au sortir des années 1990…
Tim Burton, avant d’être un cinéaste bourré de références, est un cinéphile enragé, privilégiant films fantastiques et d’horreur. Passant lui-même à la réalisation, il reprend, entreprend, innove. Ses citations sont des hommages à un cinéma qui n’est plus mais persiste au travers de ces cinéastes contemporains, que certains prétendent qualifier de « postmodernes », et qui ont avant toute chose été de grands cinéphiles (Tim Burton mais aussi Quentin Tarantino ou encore les frères Coen).
Si Sleepy Hollow possède toute l’atmosphère d’un film d’épouvante avec ses têtes tranchées qui nous assaillent de tous côtés, Burton travaille également sur des éléments d’horreur classiques. Une horreur belle et inquiétante, pas vraiment effrayante. Tout le travail sur l’esthétique du film ne cesse de renvoyer à l’isolement brumeux propre à ce genre d’atmosphère lugubre. Les thèmes et motifs qui arpentent l’univers burtonien font directement référence à ceux présents dans les films gothiques de la Hammer, source d’inspiration directe du cinéaste. Au-delà de l’aspect récurrent de certains motifs propres au genre, Tim Burton remplace la présence fantastique de Vincent Price par celle, horrifique, de Christopher Lee dont la voix ténébreuse nous ravit d’effroi.
Fantastique, gothique et grotesque
Fantastique et horrifique sont les deux penchants du film qui remet au goût du jour un concept très présent dans certains films dits « d’horreur » des années 20 et 30 : le gothique. Tous ces films s’inspirent le plus souvent de la littérature gothique et Tim Burton, de son côté, subit l’influence directe de la nouvelle de Washington Irving (1). Quasiment tout le film a été tourné dans des décors construits, la vision de Tim Burton, qui se réfère constamment aux films fantastiques ou d’horreur qui le précèdent, nécessitant un environnement totalement sous contrôle. Le cinéaste évoque à plusieurs reprises le film de Mario Bava, Le Masque du Démon. A l’évidence, on peut rapprocher certains points de ce dernier film avec Sleepy Hollow mais aussi l’image du visage abîmé de Barbara Steele à celui de Lady Crane mutilé, troué. Essayant de donner plus d’ampleur à la profondeur des scènes et des décors, l’équipe de Sleepy Hollow a utilisé la perspective forcée, ce qui n’est pas sans rappeler les films de la Hammer et autres films fantastiques à petit budget.
Tim Burton réussit un tour de force avec ce film par sa propension à traiter de manière ingénieuse la notion de grotesque dans toute sa splendeur et sa bouffonnerie. Tout cet univers se meut dans l’équilibre fragile entre comique et bizarrerie. Notre rire se transforme rapidement en grimace à la vue de tous ces effets grotesques, où se mêlent sang et décapitation. Ichabod Crane, héros malgré lui, se retrouve constamment face à des scènes d’horreur, de meurtres et de décapitations. Situations effrayantes et désagréables qu’une simple gestuelle, pourtant, va rendre comiques. C’est le cas dans ces deux plans : le premier montre Ichabod Crane autopsiant un corps décapité. Son visage, monté de ces lunettes, apporte déjà un effet comique que le sang qui gicle vient renforcer avec un effet de gore. L’autre plan a lieu après que Crane a vu le cavalier sans tête décapiter le juge Philips. Notre héros tombe à terre et, par une chorégraphie précise de mouvements, la tête fraîchement décapitée vient rouler jusqu’à l’entrejambe de Crane, alors au sol. Cette dernière situation est sans nul doute à la fois horrible, grotesque et burlesque.
Sang, enfant et (ré)jouissances
L’Œuvre de Burton est jalonnée d’inspirations diverses et référence est ainsi faite aux vampires et à l’acte vampirique. Dans Sleepy Hollow, le baiser vampirique entre le cavalier et Lady Van Tassel à la fin du film abreuve merveilleusement cette soif de sang qui se propage tout au long du film. De la même façon que dans le mythe de Dracula, cet acte vampirique est ici aussi, en quelque sorte, érotisé ou, du moins, sublimé. Outre ce baiser, on pense aussi à la scène durant laquelle cette même Lady Van Tassel est en train de faire l’amour avec le juge Philips. Durant l’acte même, Lady Van Tassel se taille la main avec un couteau et le juge Philips lèche son sang comme si cela faisait aussi partie de la jouissance.
Étreinte sanglante entre le cavalier et Lady Van Tassel.
C’est avec splendeur que Burton traite de l’horreur, présente tout au long du film en cela qu’elle n’épargne personne, pas même les enfants. Fameuse est la scène du massacre de la famille Killian qui met en scène trois crimes horrifiants. Remarquablement découpée (sans jeu de mots), cette séquence réussit à maintenir le spectateur, comme le personnage de l’enfant, entre tension et effroi, de bout en bout. Le jeu constant sur les ombres et lumières y contribue, notamment à travers cette lanterne magique au début de la scène. Le petit garçon cherche à se faire peur en s’amusant à regarder les ombres des différentes créatures projetées sur le mur. A un niveau plus général, cette lanterne magique n’est pas sans évoquer le cinéma lui-même qui suscite lui aussi figures et créatures passées. Soit. Passons le paragraphe du délire intellectuel pour constater qu’à l’évidence, il y a de l’horreur à tous les niveaux dans cette scène. Lors de la décapitation de la mère, la caméra adopte la vision subjective du petit garçon lorsque la tête roule sur le plancher, les yeux de cette dernière venant nous fixer à travers les fentes des planches en bois. Tim Burton joue sur les nerfs du spectateur, en proposant un montage qui fait s’alterner les plans du petit garçon terrifié sous le plancher, et les plans dévoilant la monstruosité du cavalier au-dessus de lui. Crainte et horreur sont poussées à leur comble.
L’indéniable influence fantastique et horrifique subie par Tim Burton fait de lui un cinéaste en constant renouvellement. Il détourne les attentes en remaniant codes et conventions, ne se contentant pas de réaffirmer ce que le spectateur connaît déjà. On retrouve toutes les notions du fantastique et de l’horreur mais on rencontre aussi quelque chose de renouvelé qui, en fait, nous surprend et nous invite justement à réfléchir sur cette question des genres que le cinéaste mélange constamment. Il pointe les limites du genre tout en dépassant les bornes et frontières pour créer à lui seul un univers insolite et singulier. Jusqu’à Sleepy Hollow, tout, dans les films du cinéaste, était inattendu, stupéfiant d’étrangeté. A partir des années 2000, cet univers burtonien, si bizarre et excentrique, se normalisera de lui-même. Parce que tout ça, c’est bien joli, mais ça ne surprend plus personne.
(1) Sleepy Hollow : la légende du cavalier sans tête, Washington Irving, 1820.