Shirley, un voyage dans la peinture de Edward Hopper

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Une expérience esthétique un peu ennuyeuse.

Dans ce film atypique, Gustav Deutsch reconstitue minutieusement à l’écran et anime treize tableaux du peintre américain Edward Hopper peints de 1931 à 1965. Tous mettent en scène une femme, qu’il nomme Shirley, accompagnée parfois d’un homme, dont il fait son mari, et de quelques personnages secondaires. L’idée du réalisateur était d’« imaginer ce qui se passe juste avant et juste après le moment immortalisé par la peinture de Hopper », soit les faits et gestes des personnages et les pensées intimes de Shirley. Le résultat est plus proche d’une série de performances plastiques ou de saynètes que d’un film de fiction tant son attention se concentre sur les décors et les jeux de lumière, les gestes de l’actrice et la poésie de ses monologues. Shirley, un voyage dans la peinture d’Edward Hopper (le titre original est Shirley, visions of reality) a d’ailleurs été exposé sous forme d’installations multimédia interactives dans des musées, la Kunsthalle de Vienne en 2008 et le Palazzo Reale de Milan en 2009.

Gustav Deutsch déclare aussi avoir voulu « aborder trente ans de l’histoire américaine en faisant coïncider les peintures et la date de leur exécution », un objectif sans doute trop ambitieux. En effet, l’introduction répétée des treize tableaux par la voix off d’un speaker énonçant les événements marquants de l’année est rébarbative et reflète assez peu l’histoire des Etats-Unis. Il est surtout question des espoirs et des frustrations d’une femme quant à son métier et à son couple.

Vers le milieu du film, dans un brusque coup de théâtre, Shirley est isolée par un projecteur et interpelle les spectateurs : « Le conseil que je vous donne, c’est de ne pas vous demander "pourquoi" ou "comment", mais de manger votre glace et d’en profiter tant qu’elle est dans votre assiette. Voilà ma philosophie ». On peut entendre ce conseil comme une invitation à jouir pleinement de la beauté des images sans chercher à en déchiffrer le mystère. A moins que Shirley n’use ici d’ironie pour nous inciter, au contraire, à voir, derrière le calme apparent des tableaux de Hopper, toute la violence contenue de la société américaine. Le puissant orage et les inquiétants bruitages animaliers qui précèdent cette apostrophe énigmatique en font une scène très réussie, qui réveille l’intérêt un peu endormi.

 

En définitive, ce film constitue une expérience intéressante mais assez vite ennuyeuse car il ne parvient pas réellement, comme il aspirait à le faire, à « vivifier » les peintures de Hopper. Conformément à leur esthétique, les tableaux, même « vivants », restent statiques, dépourvus d’action, et la trame narrative censée faire le lien entre les tableaux vivants est artificielle et décousue. L’intérêt principal de Shirley, visions of reality réside alors dans la perfection des reconstitutions que Gustav Deutsch nous livre et dans les découvertes que cette expérience originale lui a permis de faire sur la peinture de Hopper : son absence de réalisme spatial – il s’agit bien de « visions » de la réalité, de mises en scène –, la complexité de sa gamme chromatique, notamment. On admire aussi la beauté des poses de l’actrice, Stéphanie Cumming, à l’origine danseuse et chorégraphe, son corps souple ainsi que son beau visage expressif.

En dehors du plaisir de la contemplation renouvelée pour les peintures de Hopper, la fiction peine à emporter dans le fascinant voyage annoncé. On peut se demander si la confrontation dans un musée de ces tableaux animés avec les originaux de Hopper n’était pas, finalement, plus pertinente.
 

Titre original : Shirley: Visions of Reality

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Durée : 93 mn


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