« Sans rancune » était une formule utilisée aux lendemains de la seconde Guerre Mondiale, employée dans le film par les professeurs d’un pensionnat d’orphelins, accueillant leurs étudiants à la rentrée. Nous sommes en 1955 et Laurent Matagne, 17 ans, intègre les lieux. Jeune adolescent plutôt rêveur et indépendant, c’est sa dernière chance d’obtenir un diplôme. Peu structuré par une mère aigrie et l’absence d’un père aviateur disparu pendant la guerre, Matagne se laisse gagner d’admiration pour son excentrique et exigent professeur de français, surnommé « Vapeur ». Il commence même à trouver auprès de lui l’inspiration d’une carrière d’écrivain. Mais le fantasme guette quand le jeune homme commence à soupçonner ce même professeur d’être son père dit disparu…
Point de Cercle des poètes disparus dans ce troisième film du réalisateur belge Yves Hanchar. Malgré une reconstitution d’époque convaincante, une mise en scène soignée et une sincérité des personnages, le bât blesse. Le tort est moins à chercher du côté de la réalisation que de celui du scénario et de l’interprétation des comédiens. En ligne de mire, malheureusement pour l’intérêt du film, le personnage principal lui-même, incarné par Milan Mauger. L’idée est que Laurent Matagne se dépêtre de sa perte d’innocence, liée à la fin de son adolescence, période charnière où des choix professionnels s’imposent au moment même où une période de l’histoire de sa vie se clôt pour devenir le Passé. L’intention de Yves Hanchar est touchante dans sa manière d’emmener les jeunes hommes orphelins, et leurs professeurs, à mûrir. Le problème est que Milan Mauger semble plus s’empêtrer dans son jeu d’acteur. De naïf, il devient poussif, et n’arrive pas à émouvoir. Restant très scolaire dans ses expressions et ses rires, il tient le spectateur à distance ; une désagréable distance revêtant le film d’un aspect inachevé pour le cinéma. Proche d’un téléfilm en somme. Les deux autres rôles importants, Thierry Lhermitte en vaporeux Vapeur et Benoit Cauden en Boulette, le joyeux compagnon – d’abord bourru puis gentil – de Matagne, n’ont eux, en revanche, pas à rougir d’une prestation toute en justesse.
Le second hic de Sans rancune tient alors dans la pertinence du scénario. Celui-ci, assez rapidement désincarné, peine à intéresser par ses rebondissements promis. Il est vrai que les scènes du cours de français palpitent de bons mots, et laissent entrevoir la spécificité belge du cursus des humanités (l’équivalent du collège et lycée basé sur des principes humanistes et traversant les disciplines pour mettre en exergue le sens critique). Néanmoins, la question de la quête de Matagne, qui veut reconnaître chez le charismatique Vapeur son père disparu, liée à l’accomplissement d’une vocation d’écrivain toute encouragée et toute symbolique, sonne faux. Trop écrite, comme une rédaction d’école, à nouveau…
Sans rancune laisse une impression mitigée et frustrante. Si l’on veut croire aux témoignages de vie, petits bouts d’époque et petites (en)quêtes personnelles, on ne peut s’empêcher au final de s’ennuyer de cette intention qui ne décolle jamais. Le film, plein de bonne volonté, n’est pas franchement intéressant. Manque peut-être un surcroît de passion pour emporter le tout vers sa destination, la liberté voulue, le rêve construit et conquis. Manque peut-être un surcroît d’âme, qui nous convoque, nous touche et nous situe. Qui nous surprenne. Cinématographiquement parlant. Tout ceci sans rancune, évidemment.