Un titre maladroit
Malgré ce titre maladroit qui se comprend mal, voire pas du tout, les réalisateurs ont réussi à nous proposer à la fois la description d’une jeune femme pas très heureuse (sublime Adèle Exarchopoulos), d’un métier (hôtesse de l’air dans la filière low-cost) et d’une société dans sa totalité (la nôtre, hyper libérale). Mais attention, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre n’ont nullement voulu faire un film militant, sinistre et torturé. Non, le film prend le parti de filmer Cassandre (c’est le nom du personnage principal incarné par Adèle Exarchopoulos), jeune femme exerçant un métier précaire dans une compagnie aérienne low-cost, donc pas du tout glamour, mais qui l’arrange bien à ce moment de sa vie. Elle n’est présentée ni comme une victime, ni comme une pasionaria, mais comme une jeune fille moderne. Les réalisateurs qui sont aussi co-scénaristes avec la collaboration de Mariette Desert, ont travaillé avec des amis, des acteurs professionnels et non professionnels, en s’informant sur le monde du low-cost aérien.
L’ultra-moderne solitude
La plupart du persornnel volant vient de pays étrangers, notamment des ex-pays de l’Est, et les jeunes filles vivent souvent dans des colocations impersonnelles à proximité des aéroports. Ainsi, Cassandre est basée à Lanzarote, un lieu qui fait rêver des millions de touristes, mais c’est un endroit qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’habite pas vraiment et elle n’en est pas triste. Même si le rythme du film et les images, tout comme le jeu des acteurs, rappellent le cinéma des frères Dardenne, on est ici encore plus dans une forme de cinéma post-naturaliste. Aucun jugement n’est posé. D’ailleurs, Cassandre est tout sauf une asociale, un cœur sec ou une psychopathe. Elle est seulement une jeune fille qui veut fuir quelque chose, qui ne rêve d’aucune attache. Et le film s’applique à montrer cette « ultra-moderne solitude » que chantait Alain Souchon. Mais ce n’est pas pour cela qu’on la voit se morfondre ou s’isoler. Elle rencontre beaucoup de monde de par son métier, et d’hommes pour un soir ou en boîtes de nuit,. Mais sa vie est morcelée par tous ces déplacements, tous ces rendez-vous, tous ces pays qu’elle traverse mais qu’elle ne visite pas.
Métaphore de notre civilisation
On dirait que ce beau film se pose en métaphore de notre civilisation creuse mais remplie de symboles. Du reste, lorsqu’on lui demande depuis quand elle est hôtesse dans la compagnie, elle est obligée de feuilleter son Instagram. Dans le dossier de presse du film, les réalisateurs racontent que les Insta des jeunes hôtesses, comme la Cassandre du film, qu’ils ont rencontrées pour le préparer, ne présentent que des photos, toutes les mêmes, de nuages, de hublots d’avion et de tarmacs, comme si leur voyage n’était que le seul et même déplacement monotone et mercantile, puisqu’on les oblige à vendre le plus de consommations à bord aux passagers. Le seul point de certitude pour Cassandre, c’est son père et sa sœur, qu’elle retrouve au moment où sa mère vient de mourir tragiquement dans un accident de la route. Elle confie à sa sœur qu’elle est désolée. Désolée, non pas au sens qu’en donne la politesse, mais désolée au sens de désolation, de vide. Elle n’habite en effet nulle part, elle n’est pas non plus elle-même habitée. Du coup, la seule bouée pour ces nouvelles générations, c’est le vide des informations (textes et photos) sur les smartphones aussi vite oubliées par le « swipe » qu’elles ont été publiées. Mais les deux réalisateurs veulent vraiment rester optimistes, et surtout ils ne jugent pas. On pourrait dire qu’ils s’efforcent, comme Camus en son temps, à imaginer Cassandre heureuse.