Indéniablement, le coup de coeur de ce premier festival Air d’Islande fut Solveig Anspach. Outre sa capacité à démontrer, avec Dagur Kàri, la vivacité d’un groupuscule restreint de jeunes cinéastes islandais, elle témoigne de la dualité de ce cinéma bi-polaire. Coté pile ou côté face ? Morosité ou gaieté? Fatalisme ou chance ? Splendeur estivale ou rigueur hivernale ? Noir et blanc ou couleur ?
En deux longs-métrages tournés en Islande (son premier film Haut les coeurs! fut tourné en France et valut le césar de la meilleur actrice à Karin Viard en 2000), Stormy Weather et Back Soon, la réalisatrice franco-americano-islandaise expose les thèmes endémiques du cinéma islandais : l’étouffement, l’isolement des êtres, le mutisme, la convivialité et la solidarité.
Stormy Weather : L’invitation de Solveig Anspach
Au commencement de Stormy Weather, il y a Elodie Bouchez, Cora. Blouse blanche, cheveux plaqués en chignon, visage lisse. Psychiatre, elle est décrite comme quelqu’un d’attentionné et de dévoué à ses patients. Dans la première séquence, sa voix se consacre à deux de ses malades, mais l’oeil et la tête sont ailleurs. Celle qui accapare son esprit ne se nomme pas, elle se regarde et s’observe, non pas comme phénomène de foire mais comme une attraction aveuglante, mystérieuse et inexplicable. Allure malingre, visage impavide, épaules rentrées, posture figée ou gestes convulsifs, Loà dérobe au récit sa construction logique. On ne se consacre plus à connaître la cause de son mutisme ou de sa condition d’épouse, mais on s’intéresse à la rencontre avec Cora, dont les mots inutiles tissent une relation durable, faite de confiance mutuelle et de tendresse protectrice. Interprêtée par Didda Jonsdottir (que l’on retrouve dans Back Soon), Loà, femme-enfant, convoite l’ espièglerie, le jeu et la fausse innocence. Mises en scène avec délicatesse, sens du détail, des scènes restent inoubliables par leur profondeur d’émotion, d’intelligence et de cocasserie.
La météo rude de ce week-end fut pour une fois la bienvenue car elle est venue s’adjoindre au décollage vers les terres islandaises, projection éphémère, le temps d’un film. Cette projection se retrouve dans les films de Solveig Anspach, qui accueillent véritablement le spectateur et lui accordent même un rôle. Miroir de nous-même, Cora part sur le vif, du jour en lendemain, en Islande, comprendre Loà. Dans Back Soon, le même principe se réitérera par l’ intermédiaire du jeune étudiant français, passionné par les poèmes de Anna, qui s’ expérimente à des substances illicites et une population guillerette, un brin déjantée. Par la mise en scène et la présence de ses personnages, Solveig Anspach, secondée par son interprète Didda Jonsdottir devient un guide dont nous sommes les clients privilégiés.
Belle introduction en la matière : la cinéaste invite à voir, à ne pas juger, mais à profiter, en quelque sorte, de toute la démarche à quoi tend Air d’Islande. Pas de « prise par la main », ni de démonstration pompeuse et prétentieuse, uniquement une invitation pour une contrée à la cinéphilie affirmée et en pleine révélation, que chacun est libre ou non d’accepter.
Comprendre la jeunesse
Après plus de 100 ans de cinéma mondial, difficile est la tâche de renouveler des thématiques filmiques. Les cinéastes islandais se confrontent aux âpres relations familiales, aux marginaux des conventions sociales, à la moralisation étriquée, à la précarité de la jeune génération. Et pourtant, malgré ces thèmes précédemment traités, l’attirance envers les films islandais ne s’estompe pas, l’enthousiasme à découvrir d’autres films s’étant décuplé en très peu de temps, depuis les années 2000 environ. Alors pourquoi ? Avant tout, et de manière prosaïque, une des raisons se résume à l’appel du Grand Nord, aux paysages gravés par des images d’Epinal, aux plaines sauvages et de brumes dans lesquelles se mêlent des accents kaurismakiens et des cadres façon Roy Andersson. Mais c’est surtout le constat d’une liberté formelle et d’une décomplexion vis-à-vis d’un genre précis et d’un héritage culturel, qui amplifie la surprise et l’admiration à l’égard le cinéma islandais.
L’explication réside sans doute dans la récente ascension de ce cinéma, né approximativement dans les années 70 (même s’il faut prendre en compte quelques films tournés précédemment, dont The adventures of Jon and Gvendur (1928) de Loftur Gudmundsson, qualifié de pionnier). Alors que les pays de cinéphilies traditionnelles et européennes ont débuté par des adaptions ou transpositions théâtrales sur grand écran, les réalisateurs islandais se libèrent de toutes les références passées et passéistes afin de contribuer, comme le firent les Nouvelles Vagues mondiales dans les années 60, à explorer leur quête d’identité sans carcan, et à se confronter à leur propre condition. Leur regard, acuité descriptive et sensible, est dirigé vers la réalité, mais se déguise, stimulé par le pessimisme et la mélancolie, sous esthétique onirique. Loin des dénonciations sociales, les long-métrages islandais se qualifient plutôt d’oeuvres artistiques dans le sens premier du terme, d’une approche personnelle, proposant une perception sensible du monde mise en forme par ses propres moyens et désirs.
Force est de constater que les films les plus décevants, sans pour autant faire fuir, accentuent l’influence d’un genre cinématographique. Esprit d’Equipe lorgne vers la comédie anglaise tandis que Jar City, polar à l’intrigue efficace mais un brin mou, demeure sans véritable identité, les personnages se référant à de nombreuses autres caractérisations.
Très présente sur la scène musicale et depuis peu en littérature, l’Islande possède désormais une ressource incontournable de cinéastes talentueux qu’Air d’Islande a judicieusement mis en valeur.