Remember

Article écrit par

Un film sur la mémoire, à oublier.

Bien qu’il n’en ait pas écrit le scénario, Atom Egoyan reprend avec Remember certains de ses thèmes de prédilection, comme le travail de mémoire (Ararat, 2002, sur le génocide arménien), l’absence d’un proche et le deuil (De beaux lendemains, 1997). Son dernier film est un road movie sur un homme sans passé, lancé vers une vengeance inéluctable. Cet homme, c’est Zev, interprété avec classe par Christopher Plummer, qui végète dans une maison de retraite médicalisée, sous le choc du décès de sa femme qui a violemment aggravé sa sénilité. Chaque réveil lui fait oublier puis revivre la mort de Ruth, et seules des traces écrites parviennent à raviver sa mémoire. Le septième jour de deuil, son ami Max lui donne une lettre, contenant les instructions pour retrouver et tuer Rudy Kurlander, un ancien Blockführer qui a massacré leurs familles à Auschwitz. Le lendemain, Zev prend la route, et suit les étapes telles qu’organisées par Max, pour aller rencontrer les quatre Rudy Kurlander suspects, et éliminer parmi eux le bourreau.

Tout le film repose donc sur le parallèle entre mémoire de la Shoah et mémoire de Zev, ce dernier personnifiant l’impossibilité de vivre libres en oubliant notre passé. A de rares exceptions, son road trip est en effet totalement guidé par la lettre de Max – à laquelle il se cramponne à chaque perte de mémoire – et rythmé par les coups de fil qu’il lui passe pour l’informer de ses progrès. Sa mémoire est certes un fardeau, mais elle donne un sens à sa (sur)vie : une scène le montre ainsi hilare devant un dessin animé, apaisé car détaché de lui-même, temporairement insouciant avant qu’une fillette ne lui lise la lettre qui commence, comme une claque, par lui rappeler la mort de Ruth. Certaines réminiscences sont cependant moins pénibles, lorsque l’émotion d’une rencontre avec des Rudy Kurlander fait ressurgir chez Zev ses réflexes de pianiste, et ses penchants pour Mendelssohn ou Wagner.

 

Cette bonne idée, bien exploitée jusqu’au dénouement, perd néanmoins toute sa puissance tant le film donne l’impression qu’Atom Egoyan n’est pas convaincu par la vraisemblance de son scénario, et le traite donc sur un mode décalé pour mieux faire passer la pilule. Mais cette alternance de scènes dramatiques et légères se révèle extrêmement gênante, car Remember semble tourner en dérision le travail de recherche des ex-nazis par les fondations Wiesenthal ou Klarsfeld, ou a minima le dramatiser sans vergogne pour en tirer un film de vengeance peu crédible. Cette dissonance entre le propos et la forme surgit notamment par le biais des personnages secondaires (aide soignante, chauffeur de taxi, garde frontière, employés des différents hôtels …) qui interviennent toujours sur un mode léger et comique, contrastant avec la sénescence de Zev. Elle découle aussi d’incohérences scénaristiques, la plus flagrante étant la capacité du papy grabataire à manier son revolver comme un agent spécial alors qu’il demande en l’achetant à ce qu’on lui en écrive le mode d’emploi, et qu’il tremble comme une feuille. Ce décalage, qui naît enfin de la bande-son et de l’image – avec un final aux tons chatoyants, dans un chalet digne d’un spot Center Parcs – visait sans doute à nous soulager un peu de la dureté des questions évoquées, mais fait ressembler Remember à une vaste faute de goût d’un réalisateur dépassé par son sujet.

Titre original : Remember

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…