Ratatouille

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Le Rat Touille ! « Qu’est-ce que tu manges ? – Pas la moindre idée… mais je crois qu’au départ c’était une sorte d’emballage. »

Réalisateur des Indestructibles (2004), Brad Bird reprend dans Ratatouille le thème des apparences auxquelles il ne faut pas se fier. Les membres d’une famille qui semblait ordinaire se muaient dans le premier en super-héros sans crier gare ; un rat se révèle ici un cuisinier hors-pair dont le flair n’a d’égal que l’audace. En élisant un rat protagoniste et chef prodige, le film bat en brèche les clichés auxquels ladite « grande cuisine » demeure associée. Pourtant, de clichés, Ratatouille s’encombre aussi, notamment par rapport à la vision d’une France fantasmée et très idéalisée, vue et rêvée depuis l’Amérique. Auguste Gusteau, dont le nom renvoie à « gustatif » et à qui Jean-Pierre Marielle – objet d’un hommage récent sur nos pages – prête sa belle voix chaude dans la version française, fait beaucoup penser à Paul Bocuse, qui nous a récemment quittés, dans sa stature, son embonpoint, son ton convivial autant que dans sa cuisine, traditionnelle et de terroirs, héritée de sa grand-mère…

 

 

La perpétuation de la tradition n’exclut cependant pas automatiquement la recherche ou l’innovation, comme le montre la recette de ris de veau qui se voit exhumée soudain par les soins du rongeur virtuose devant la demande pressante des clients de trouver du « nouveau « dans leurs assiettes : « Ris de veau cuits dans du sel marin avec des tentacules de seiche, des œufs d’esturgeon, des champignons japonais et des anchois au jus de réglisse (…) ». Rémy le rat ne cesse d’improviser, semblant prendre au pied de la lettre le célèbre adage de Gusteau, qui décède également dans le film mais dont le spectre le visite régulièrement : « Tout le monde peut cuisiner ». Sa désinvolture vis-à-vis des recettes originelles de Gusteau provoque la terreur et l’indignation des membres de la brigade telle la déterminée Colette, décidée à gagner sa place dans un milieu misogyne et violent, et qui voue à ces documents un respect sacerdotal. C’est cependant au flair du rongeur que le film donne raison, puisqu’à chaque fois le plat réinventé semble délicieux et les clients, même l’intransigeant critique au nom de famille révélateur et comique, Ego, conquis. À Ego, journaliste très craint de tout le gotha gastronomique comme le montre son apparition théâtralisée en pleine conférence de presse, Rémy décide de servir, assez hardiment, une ratatouille. Le choix fait d’abord rire sous cape et de façon sarcastique l’ancien propriétaire Skinner, délogé en faveur du jeune et maladroit Alfredo Linguini, fils caché de Gusteau et complice de Rémy. Il va pourtant s’avérer très judicieux. Telle une madeleine de Proust, le plat va raviver le froid critique, le replonger dans des souvenirs d’enfance profondément enfouis en lui et, contre toute attente, l’adoucir.

 

En opposition diamétrale à la commercialisation sans âme de l’ère Skinner, bien plus un homme d’affaires qu’un cuisinier, qui utilise de plus la bonhomie et la rondeur de Gusteau pour vendre n’importe quoi et si possible à la chaîne – à l’image de burritos standardisés, visiblement peu ragoûtants –, Rémy incarne une vision du cuisinier comme vrai artiste et créateur qui parle de « symphonie croustillante » ou déclare à sa brigade : « Il faut que vous composiez votre salade comme si vous peigniez un tableau ». Les sensations du doué cuisinier lorsqu’il mange tour à tour un morceau de fromage puis de fraise font l’objet de séquences festives, musicales et magiques où l’on voit apparaître des lumières appuyées de musique, suggérant un feu d’artifice gustatif. L’anonymat et la standardisation en masse s’opposent de même à une cuisine à échelle familiale et intimiste, l’industrialisation à une vision plus artisanale. Rémy fait également preuve d’une débrouillardise aiguë, une des plus grandes qualités de ce surprenant meneur de jeu. Même au milieu des poubelles, il est capable de dénicher les ingrédients d’un plat prometteur. Très vite, il a ainsi l’idée de combiner une tomme de chèvre fermière, qu’il compte griller sur un poteau électrique en haut d’un toit, avec un champignon et en note finale une pointe de romarin. Sa célérité permet aussi la grande vitesse jubilatoire de certaines séquences où il compose en un temps record, bondissant d’un endroit à un autre, par peur aussi d’être attrapé et de se voir réserver le sort funeste usuellement destiné aux rats.

Venant de rien et arrivant très haut, Rémy incarne aussi une forme étonnante mais réelle d’American dream, et, bien qu’il réside en France, a tout du prototype du héros américain. Son goût développé et son sens des combinaisons l’opposent aussi, de manière drôlatique, à son frère et acolyte Émile, qui, et c’est peu de le dire, ne s’avère pas très familier de la « grande cuisine », comme le révèle cette hilarante réplique : « C’était intéressant, presque autant que le polystyrène ». N’oublions pas de dire que les images de synthèse et l’incroyable travail sur l’image accompli par une équipe très nombreuse participent totalement du plaisir que l’on peut éprouver à voir Ratatouille, et rendent notamment les plats confectionnés par Rémy extrêmement appétissants, et la cuisine dans le restaurant Gusteau, toutes proportions gardées, assez « réaliste ».

Titre original : Ratatouille

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Durée : 110 mn


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