
Le trajet reprend, direction Téhéran, car si le paysage ne défilera que durant une heure vingt-cinq, celui de l’itinéraire diégétique sera en revanche davantage harassant. Sharareh et son mari Kamran, tante et oncle, ne savent quelle conduite adopter face au petit Arshia, dont les parents viennent tous deux de périr dans un accident. Cet évènement dramatique va peu à peu réveiller les malaises latents du couple, envenimer leurs gestes d’une sourde amertume : doivent-ils désormais s’occuper de l’enfant, alors même qu’ils y avaient renoncé des années auparavant du fait de leur handicap, ou plutôt laisser l’orphelin à la charge d’un autre membre de la famille ? La tenue de route s’en ressent, devient aléatoire, Kamran bafouille ses changements de vitesses, klaxonne volontiers, passe ses humeurs sur ceux qui gênent sa conduite, alors que le hasard des nids-de-poule et des ennuis moteur forceront à plusieurs reprises l’arrêt du véhicule.
L’équipée se transforme en un road movie au goût prononcé de cerise, des cadrages serrés d’une caméra fixée sur le capot avant de la voiture se doublent de plans de grands ensembles révélant au sein de multiples lignes de fuites la magnificence des reliefs iraniens. Et tandis que le taciturne Arshia reste silencieusement acculé dans son siège, les échelles de plans proposées offrent la constance de remarquables triptyques suggérant l’idée de recomposition familiale. Toutefois, Morteza Farshbaf épuise rapidement le réservoir vocabulaire d’images-signes à sa disposition, et la réflexivité proprement cinématographique qu’induisait le langage des signes compromet bientôt son intrigue. Cette persévérance envers l’épure engouffre et morfond ces interprètes, certes non-professionnels, dans une vaine pantomime, là où justement Abbas Kiarostami parvenait à s’effacer derrière ses personnages, invoquait la légèreté pour mieux les convier à l’introspection.

Puis une fulgurance, digne cette fois-ci du cinéma de papa, Arshia déverse du coca-cola dans le réservoir à huile du moteur pour le faire serrer, et dérègle par-là même la mécanique lancinante du scénario en recentrant le film sur lui. Arshia embarque seul dans le véhicule d’un dépanneur, et s’ensuit un champ/contrechamp d’une subtile candeur où l’enfant lâche au travers d’une discussion sur la femme soi-disant peu aimante du dépanneur une allégorie dont la brutalité est sans équivoque. À l’instar du jeune héros retrouvé de Ten (2002), Arshia a reconquis avec spontanéité l’usage de la parole. Celui-ci a parfaitement lu sur les lèvres ce que le couple tramait sous ses yeux : il peut désormais pleurer au pied des arbres quand son oncle et sa tante croient qu’il a besoin de faire pipi, comme pacifié de connaître maintenant la vérité.
Morteza Farshbaf parvient sur le tard à filmer l’enfance, car auparavant sa caméra s’est embourbée dans un sillon déjà tracé, qui chemin faisant la fait s’éloigner de la carte pourtant évidente de la tendresse. Querelles est audacieusement introduit et conclu, mais s’appuyant exclusivement sur son dispositif sonore, a institué par le biais du pare-brise de ce sécurisant 4×4 un écran supplémentaire, définitivement opaque, entre eux et nous. À l’inverse, et au-delà de souligner la robustesse de ce modèle mythique, la promiscuité d’une Renault 5 dans Et la vie continue (1991) sublimait l’intimité de cette espace scénographique, déconstruisait la banalité du lieu, et faisait ainsi voler en éclats la barrière cinéma en y renfermant des apothéoses de sincérité. Pourtant rares sont les sourds aussi bien appareillés, aussi bien guidés, et loin des cadres, Querelles pèche probablement dans les certitudes de son réalisateur, qui au gré des entretiens donnés, témoigne d’un désir trop appuyé d’appropriation et d’orientation de son spectateur.

(1) Co-scénariste de Querelles, Anahita Ghazvinizadeh a par ailleurs réalisé en 2011 un court métrage, également sur le thème de l’enfance, intitulé When the Kid was a Kid.