Quand le conte et la mythologie invitent au voyage onirique

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Sans complexes, Jacques Demy s´amuse à remodeler à sa guise les vieux contes et les périples mythologiques qui ont formé les racines du système de pensée contemporain. Après tout, on peut très bien être à la fois un pilier du cinéma français et un grand gamin émerveillé.

Coffret L’intégrale Jacques Demy ARTE VIDEO

« La vie n’est pas un contre de fées, tu sais. »

Pour les générations d’enfants nourries aux films d’animation de Walt Disney et aux contes de Perrault, le constat est cruel : même avec tout le cynisme du monde, on n’efface pas des années entières d’histoires remplies de princes et de princesses qui n’étaient nés que pour se rencontrer, s’aimer et fonder une famille. Si certains ont rapidement décidé de se débarrasser des carcans manichéens d’un tel système, d’autres, comme Jacques Demy, ont préféré jouer la carte du jusqu’au-boutisme en reprenant les ingrédients classiques des contes pour enfants et en les modernisant pour les adapter à des situations plus contemporaines.

Quand le genre littéraire du conte prend son essor au 18ème siècle, il n’a pour ambition que de distraire tout en réaffirmant les valeurs sociales de l’époque ; se voulant court mais dense, il n’hésite pas à utiliser des stratagèmes efficaces et marquants. C’est ainsi que l’on voit apparaître des personnages dont la psyché est directement visible via l’apparence physique : le beau est bon, le laid est méchant… Désormais, toutes les ruses sont admises, pourvu qu’elles tendent toutes vers une même morale finale.

Lui-même admirateur inconditionnel du cinéma d’animation, Jacques Demy n’aura de cesse, tout au long de sa carrière de réalisateur, de recréer dans ses œuvres l’ambiance propre au conte, en invitant le spectateur à voyager dans un monde onirique. Pour le cinéaste français, tout passe par les sens ; les couleurs très marquées et hautement symboliques, les héros au physique irréprochable, la musique en symbiose parfaite avec les événements : il ne laisse aucun détail au hasard. Il aime à parsemer ses films de références au monde de l’imaginaire et de la mythologie, comme il le fait sans retenue dans Peau d’Âne (1970), où il développe très clairement le célèbre cas du complexe d’Œdipe cher à Freud, et où il donne vie à un bestiaire qui ferait rougir Buffon lui-même.

Mais ce n’est pas tout de vouloir transposer un conte sur pellicule : encore faut-il y ajouter des éléments permettant de dépasser le stade de copie pour atteindre celui d’hommage. Car la plus grande part de la filmographie de Jacques Demy est un vibrant et grandiose hommage à ce genre, qui même s’il pâtit aujourd’hui d’une mauvaise publicité, n’en continue pas moins de faire rêver l’humanité. Exit le symbole du prince qui transcende l’étiquette royale en épousant une souillon, dans Les Demoiselles de Rochefort (1967) le spectateur découvre une joyeuse tribu de personnages tout ce qu’il y a de plus modernes, qui chantent sans honte leur amour pour la vie et pour l’amour lui-même. La magie opère devant les yeux du spectateur, qui se laisse emporter par les belles harmonies d’un orchestre symphonique classique, épaulé par des instruments plus contemporains, à l’instar de la trompette dont Delphine joue avec vivacité et amusement.

Fidèles aux personnages types du conte de fées, les héros des films de Demy sont construits sur la base d’une psychologie extrêmement simplifiée qui sert la morale de fin ; pas de jeunes gens retors dominés par leur propre conscience, pas de névrosés pathologiques, pas de sombres pessimistes qui traînent un petit nuage noir au-dessus de leur tête. Tout au plus les figures habituelles de la vieille mégère ou du bas peuple moqueur noircissent-elles le tableau féérique, mais rien de grave : le Bien triomphe toujours, et le Beau avec lui. Jacques Demy s’attarde tout particulièrement sur l’idée de destin amoureux et d’âme sœur : Delphine (Les Demoiselles de Rochefort) et Peau d’Âne, malgré leurs divergences temporelles et sociales, partagent les mêmes idéaux romantiques et rêvent avec émotion du jour où elles rencontreront leur prince charmant et sauront, au premier regard, qu’elles ont trouvé l’âme sœur, la véritable, l’indéfectible moitié nécessaire pour l’apothéose finale, tout est bien qui finit bien.

En prenant à contre-pied la répulsion naturelle que l’on peut ressentir vis-à-vis de l’indécrottable optimisme qui habite les contes de fées, Jacques Demy revisite le genre sans jamais le dénaturer, et en poussant à son paroxysme l’exploration de la notion d’idéal, il offre au spectateur un voyage intemporel dans les contrées lointaines, parfois injustement dénigrées, du monde de l’imaginaire et des rêveries sans fin. Bien sûr, le public n’est pas dupe face à un tel feu d’artifice de couleurs vives et de destinées toutes tracées ; mais c’est avec un plaisir incomparable qu’il se prête au jeu des joies enfantines en se laissant bercer par les contes oniriques du grand monsieur Demy.


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