Quand le cinéma américain (re)découvre l’Afrique

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Depuis plusieurs années, les studios d’Hollywood ont misé sur d’importants projets portant sur l’Afrique. Longtemps oublié, le continent semble aujourd’hui inspirer scénaristes et producteurs. Simple tendance créatrice ou véritable reflet des préoccupations américaines à l’égard des pays africains? Décryptage.

Au début des Larmes du soleil, réalisé par Antoine Fuqua et sorti en mars 2003, Bruce Willis incarnant un officier des forces spéciales américaines évacue un camp de réfugiés dont le prêtre en charge ne souhaite pas partir. L’homme d’église explique que « Dieu les protègera ». Impériale, la caméra se tourne alors vers Willis qui, fronçant les sourcils, lâche une punchline savamment préparée : « Dieu a déjà quitté l’Afrique il y a bien longtemps ». La réplique en dit long sur une vision américaine de l’Afrique finalement assez commune à de nombreux films, qui sont sortis d’Hollywood au cours des dernières années et qui portent souvent, plus précisément, sur les guerres civiles africaines. La liste est longue : Hotel Rwanda de Terry George, Lord of War d’Andrew Niccol, Blood Diamond d’Edward Zwick, The Constant Gardener de Fernando Meirelles, Le dernier roi d’Ecosse de Kevin MacDonald sans oublier La chute du Faucon Noir de Ridley Scott.

Pourquoi s’attarder sur ces films ? Après tout ne s’agit-il pas d’une simple coïncidence des calendriers de production? D’une simple tendance des scénaristes et des producteurs ? Pas seulement. Lorsqu’on y regarde de près, ces films ne disent pas seulement ce que Hollywood pense de l’Afrique, ils nous disent aussi beaucoup sur la façon dont à la fois Washington, la Maison Blanche et le Pentagone voient l’Afrique. Cela peut se résume en deux principales idées : l’Afrique est un continent livré à un chaos inexorable et l’Amérique ne sait si elle doit y intervenir.

L’image du chaos, et de la cruauté qui l’accompagne, transparaît dans l’ensemble des films mentionnés précédemment. Or, de nos jours, le cinéma politique, ou plus largement d’action américain, fonctionne de plus ou moins loins selon deux archétypes des « bad guys » : d’un côté les terroristes arabes, calculateurs machiavéliques et fins connaisseurs de toutes les faiblesses de l’Amérique, de l’autre l’Africain, dictateur ou insurgé, qui convoque une bestialité irrationnelle, quasi-inhumaine. Les génocidaires d’Hotel Rwanda, les miliciens de Blood Diamond ou encore les assassins de The Constant Gardener en sont réduits à des figures quasi-désincarnées d’un mal absolu, donc incompréhensible. A l’inverse des terroristes de Syriana de Stephen Gaghan, Le Royaume de Peter Berg ou plus récemment Angles d’attaque de Peter Travis, les motivations en Afrique importent finalement peu, le spectateur devant sortir abasourdi par une violence gratuite, sans fin, sans raison. Comme le répète un Di Caprio résigné dans Blood Diamond : « This is Africa ».

Dès lors, on peut encore mieux saisir les hésitations et l’ambiguïté avec laquelle Hollywood aborde la question d’une intervention américaine sur le continent. A ce titre, il est tout à fait intéressant de revenir sur La chute du Faucon Noir, portant sur l’opération humanitaire ratée des Marines américains en Somalie en 1993. On a ainsi reproché à Ridley Scott, britannique de surcroît, un patriotisme exacerbé, ainsi qu’une négligence choquante à l’égard des souffrances somaliennes. Reconnaissons d’abord que Scott reste un formaliste du cinéma et n’a effectivement pas l’âme d’un polémiste. On sent bien, à la vision du film, que Scott s’intéresse moins au symbole politique du fiasco de l’armée américaine à Mogadiscio, qu’à la mise en image d’une guérilla urbaine. Or, lorsque l’on attaque le film en le traitant (trop) facilement de propagande à la gloire des Marines, on oublie qu’avant tout La chute du Faucon Noir est la représentation brute et minutieuse du plus grand traumatisme militaire américain depuis le Viet Nam et qu’il devient ainsi une clé d’entrée pour aborder les émotions qui traversent les films qui suivent : l’absence coupable dans Hotel Rwanda, le cynisme résigné de Leonardo Di Caprio dans Blood Diamond, ou encore l’interventionnisme voué au suicide dans The Constant Gardener et Les Larmes du soleil.

Rapprocher ces deux derniers films peut a priori surprendre. L’un est une adaptation auteuriste d’un roman d’espionnage de John Le Carré. L’autre est un travail de commande exécuté par un réalisateur sans style. Malgré cela, les personnages principaux des deux films, Justin Quayle, interprété par Ralph Fiennes dans The Constant Gardener, et le lieutenant Water, joué par Bruce Willis dans Les Larmes du soleil, partagent plus que ce que l’on croit. Tous deux se lancent dans une croisade personnelle pour sauver l’Afrique, à la fois des trafics pharmaceutiques pour l’un, et des guérillas sans fin pour l’autre. Tous deux savent également pertinemment qu’au bout du compte, leur combat ne résout rien. Tous deux affrontent la violence irrationnelle des Africains et l’immobilisme – si ce n’est l’affairisme dans The Constant Gardener – occidental. Enfin, les deux films, et c’est ce qui fait probablement la faiblesse de leur propos, en appellent à la spiritualité, la religiosité étant considérée comme seul moyen salvateur. Or, si, comme Bruce Willis le dit, Dieu a quitté l’Afrique, l’Amérique, elle, est de retour puisque l’infréquentable secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, après avoir vitupéré sur la vieille Europe, a décidé fin 2006 qu’il était grand temps pour l’armée américaine de s’installer durablement avec un commandement militaire permanent sur le continent. Est-ce grâce ou à cause des films évoqués ? Est-ce grâce à l’importante starification de la cause pour le Darfour avec Angelina Jolie, Don Cheadle, George Clooney ? Probablement pas. A l’inverse, il est fort à parier que ces films nous en disent beaucoup sur le rapport complexe, fait d’autant d’incompréhension que de culpabilité, que l’Amérique entretient aujourd’hui à l’égard de l’Afrique.


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