Peau lisse chez les durs à cuire
Mélissa (Maïwenn), photographe jeune et jolie, est mandatée par le ministère de l’intérieur pour réaliser un reportage sur la brigade de protection des mineurs de Paris. Plongée dans le quotidien de ce service, elle découvre les affaires courantes, véritable concentré d’horreurs ordinaires. Elle rencontre aussi et surtout les gars de la brigade, des hommes et des femmes dévoués et tenaces, mordus de leur boulot. Parmi eux, Fred (Joey Starr), un dur à cuire qui succombe aux charmes de notre photographe photogénique.
Laissant les enfants et leurs agresseurs au second plan, Mélissa, derrière l’objectif, Maïwenn, derrière la caméra, traquent les coulisses de la brigade et les modes de (dys-)fonctionnement de cette quasi-cellule familiale. Chaque séquence déborde de gestes, d’indices, de bribes d’informations sur ces simples flics, leur job, leur vie privée, leurs amours, leurs emmerdes… Servis par des acteurs particulièrement énergiques et crédibles, les personnages sont riches d’une vraie profondeur psychologique, laquelle les rend particulièrement attachants. Humour féroce et dialogues ciselés viennent oxygéner les séquences d’interrogatoires où les propos sont souvent crus et les situations poignantes. Jamais tendancieux ou misérabiliste, le film transpire la vie et le réel.
Ceci étant dit, il faut convenir que cette urgence qui anime le film en fixe également la principale limite. La fièvre documentaire débouche sur une logique de panel qui plombe parfois le rythme du film : aucune des grandes typologies d’agressions envers les enfants ne nous sera en effet épargnée. A vouloir tout dire, tout montrer, Maïwenn peine à faire le tri : 150h de rushes, un premier montage de 3h, une version salle resserrée à 2h07 mais, au final, le sentiment d’un trop-plein persiste. A la fois docu-fiction et chronique de tranches de vies, le film court deux lièvres à la fois, avec plus ou moins de réussite.
Caméra embarquée, Maïwenn en liberté
En revanche, le film de Maïwenn fait mouche par sa capacité plus ou moins consciente à questionner les rapports entre cinéma et réel d’une part, documentaire et réalité d’autre part.
La réalisatrice ne cache pas que « de manière générale, un mauvais documentaire [l’]’inspire plus qu’un très bon film ». Précisément, c’est en regardant un documentaire sur la brigade de protection des mineurs que Maïwenn a décidé d’engager ce projet, une fiction certes, mais basée sur des affaires judiciaires toutes véridiques. Lors de l’écriture du scénario, la réalisatrice s’est immergée dans le quotidien de la brigade de protection des mineurs avant d’imposer à tous les acteurs du film un stage de formation avec d’anciens policiers. La trame de Polisse flirte donc ouvertement avec le documentaire. La mise-en-scène également, qui travaille en outre à produire des effets de réel. L’utilisation concomitante de plusieurs caméras numériques offre à Maïwenn une grande souplesse lors du tournage et une extrême mobilité dans les séquences d’action. Par ailleurs, ce matériel léger permet d’être réactif et de capter les moindres ratés ou improvisations des acteurs sur le plateau. Grâce à un montage vif et percutant, nombre de séquences relèvent ainsi d’une quasi-reconstitution documentaire, le spectateur se trouvant immergé dans l’action à la manière d’un journaliste embarqué.
Paradoxalement, ces effets de vérisme produisent la sensation d’un hyperréalisme, d’une construction fictionnelle visible, d’une mise en scène évidente. De fait, Polisse prend souvent les allures d’un véritable film d’action, avec ses courses-poursuites, ses intrigues avortées, ses rebondissements, ses salauds, ses personnages antagonistes… Le choix d’utiliser des acteurs connus pour incarner des héros anonymes renvoie également le spectateur à la fiction, quand le film aurait tendance à s’assimiler à un documentaire. A l’inverse, lors du démantèlement d’un camp de Roms, Maïwenn ne fait pas appel à des figurants mais à de véritables gens du voyage.
Battre et rebattre les cartes, brouiller les pistes. Ces allers-retours entre réel et fiction, scènes écrites ou improvisées, plans voulus ou volés, ne sauraient être théorisés. Mais par les ambiguïtés, les télescopages et les biais qu’ils génèrent, la question du statut de l’image se trouve sans cesse posée. Et le spectateur de s’en débrouiller, tout embarqué qu’il est dans une estafette bleue lancée à pleine vitesse.
Maïwenn n’a pas fait sur la police le film qu’on pouvait attendre d’elle et c’est plutôt bien ainsi. Si son projet n’est pas pleinement maitrisé, force est de reconnaître ici une énergie vitale et une fureur qui sont tout à la fois les principaux atouts et les limites du cinéma de Maïwenn. Définitivement foutraque, parfois naïf et un rien narcissique, Polisse dérange, bouscule, énerve, transporte. En ce sens, il possède pleinement cette marque de fabrique des films d’auteur : la politesse de surprendre.