Passage à Belfort : 28e festival EntreVues

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Jeunesse des propositions et des regards : pour sa 28e édition, le festival EntreVues conserve son aura de découvreur.

Les cinéastes présents à Belfort cette année affichaient au compteur une moyenne d’âge disons… juvénile. Sans en faire une généralité, on a pu noter que plusieurs films en compétition étaient réalisés par des « moins de 25 ans », dont la maîtrise et la promesse plus grande à l’avenir faisaient plaisir à découvrir.


Eleanore Pienta dans See You Next Tuesday de Drew Tobia

 

L’Américain Drew Tobia est peut-être plus proche de la trentaine, mais sa comédie (une des deux en Compétition cette année) a la folie un peu désespérée de la génération Y. See You Next Tuesday appartient à une catégorie de films indépendants un peu fauchés, à l’image de son anti-héroïne, une jeune fille enceinte jusqu’aux dents à la solitude écrasante. Proche de la hobo, Mona (Eleanore Pienta) se trimballe dans un manteau en plastique orange et se heurte à son entourage le jour où elle se retrouve sans appart ni job. Inquiète, grossière et peuplée de personnages féminins grandioses, cette comédie trash, au demeurant très subtile dans son écriture, rappelle l’univers déjanté de John Waters, avec en supplément un goût pour la raillerie sociale (le jeu sur les codes vestimentaires, le massacre du milieu lesbien bobo) savoureux. Bonne nouvelle, le film a reçu le Prix d’aide à la distribution.

Elis Lindfors dans Latch de Zagros Manuchar
L’Irako-finlandais Zagros Manuchar a lui 23 ans et c’est en autodidacte qu’il a appris le cinéma pour réaliser Latch. Déconcertant – il a progressivement vidé la salle pendant sa présentation -, ce premier long métrage impose un naturalisme que d’aucuns trouveront éreintant mais dont la beauté formelle et la patience recèlent bien des frémissements. Il y est question d’un gamin affligé de bégaiement depuis que sa mère a quitté le foyer familial. Socialement isolé, en retard à l’école, l’enfant s’enferme dans un immobilisme accentué par un père refusant d’accepter sa maladie. Minutieuse, la caméra ne lâche pas le gamin, poursuit ses moindres mouvements et filme frontalement la gêne, le trouble de la parole retenue à l’aide de dramatiques zooms avant. L’enfant se démène pourtant et devient le héros de sa propre renaissance, faisant revenir la lumière dans le cadre et donnant sens aux premiers plans du film, terrassants de beauté.

Karim Loualiche dans Chantier A de Lucie Dèche, Karim Loualiche et Tarek Sami
Du côté des documentaires, c’est Chantier A qui s’est imposé comme la proposition la plus forte, parmi des films plus maladroits dans leur portée sociale ou aux dispositifs plutôt artificiels (Casse de Nadège Trebal ; La Jongla Interior de Juan Barrero). Co-réalisé par Karim Loualiche (aujourd’hui disparu et à qui le film est dédié), Tarek Sami et Lucie Dèche, Chantier A aurait pu être trois films : les 18 heures de rushes récoltées au cours de deux voyages en Algérie marquent le film d’une densité thématique et visuelle étourdissante. S’ouvrant sur le retour en Algérie de Karim, l’enfant du pays, le film se construit à découvert, les protagonistes rencontrés acceptant l’artifice de la caméra, jouant même avec. Le final condense les thématiques qui ont émaillées le film : la poésie, écrite et orale, du pays, le questionnement sur les traumas sanglants de l’Algérie, mais aussi l’exil de Karim et l’écartèlement de sa jeunesse. La mise en scène travaille des visions parfois fulgurantes qui, associée au travail de Lucie Dèche sur le son et à la narration sur l’état actuel du pays, justifient « le chantier » filmique audacieux dont il est question.
C’est un autre film algérien (qu’on a loupé) qui obtient le Grand Prix cette année, Révolution Zendj, troisième long métrage de Tariq Teguia après Rome plutôt que vous (déjà lauréat du Grand Prix en 2006) et Inland (2008). Le jury a également accordé une mention à Tir, d’Alberto Fasulo, fiction au dispositif un peu théorique autour d’un ancien prof devenu camionneur soumis à des conditions de travail de moins en moins humaines.
Nicolas Granger dans Peine perdue d’Arthur Harari
Côté courts et moyens métrages, c’est sans trop de surprise Peine perdue d’Arthur Harari qui reçoit le Grand Prix. Il dominait une sélection assez hétéroclite où surnageaient des propositions d’apparences modestes, toutes délicatement éprises de désir. Que ce soient les adolescents de L’Âge de feu du jeune Léo Haddad, les déambulations d’un dragueur a priori pathétique (Ein Kleiner Augenblick des Glücks de Thomas Moritz Helm) ou l’étrange manipulateur de Peine perdue, tous étaient en quête d’un étrange absolu, forme d’amour parfois plus proche du pardon.
Le film d’Harari est une balade au bord d’un fleuve – orchestrée par la musique de Bertrand Belin – où un trio amoureux semble naître sous les manipulations de Rodolphe (Nicolas Granger). La circulation du désir s’amorce par une main aux fesses – succédant ainsi à La Main sur la gueule (2007), son autre moyen métrage) et s’achève par la possibilité d’échouer sur une île et d’y disparaître, morceau de terre que la caméra capture en tanguant, incertain Paradis pourtant bien perdu.


© Vincent Courtois

Le palmarès complet est disponible sur le site d’EntreVues.
La reprise des films primés aura lieu au cinéma Le Nouveau Latina (20 rue du Temple, 75004 Paris) le 17 décembre à 20h.


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