Outrage

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Dans son nouveau film, Kitano renoue avec ses premières amours : violence, noirceur et mafia. Mais le grand artisan du cinéma japonais est loin d’avoir perdu son talent… bien au contraire, comme le bon vin, il se bonifie avec le temps.

Plusieurs caïds de second rang se réunissent lors d’un festin avec « Monsieur le Président », chef de l’organisation mafieuse Sanno-kai qui régne sur Tokyo et son agglomération. Kato, numéro 2 de l’organisation, déconseille à IKemoto (chef d’un clan affilié à la Sanno-kai) de trafiquer au grand jour avec Murase (chef d’un autre gang), avec qui il a scellé un pacte en prison. Afin d’atténuer les soupçons de M. le Président, Ikemoto confie à son acolyte Otomo une sale besogne : s’attaquer, en douceur, à Murase. Les agissements d’Otomo marquent le début d’une longue série de divisions et de trahisons. Très vite, les clans de yakuza noient dans le sang leur quête impérieuse de pouvoir et d’argent. Les caïds se défient pour monter dans les rangs de l’organisation à coups de complots et d’accords morts-nés. Dans ce monde corrompu dépourvu de héros, seuls s’affrontent les méchants dans une guerre sanglante.

« MONSIEUR » Takeshi Kitano est de retour dans un film de yakuza, ce qu’il n’avait pas fait depuis une dizaine d’années (avec le mauvais Aniki, mon frère). Mais pour quel résultat ? L’artiste japonais multi-facettes (scénariste, réalisateur, acteur, producteur, peintre, comique …) évolue et cela lui réussit plutôt bien. Fini les personnages taciturnes et peu enclin à la parlote. Dans Outrage (en compétition au dernier festival de Cannes), le personnage campé par Kitano, ainsi que tous les autres protagonistes, ont la verve facile. Bienvenu dans un monde où les balles fusent aussi vite que les insultes et où surtout l’honneur et la loyauté envers son clan priment sur sa propre vie.

Mais il ne faut pas se méprendre. Le film a pu être décrié à tort comme ultra violent… Certes l’hémoglobine est presque un personnage à part entière, mais jamais elle n’est gratuite. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas ici dans l’univers larmoyant des Petits Mouchoirs de Guillaume Canet. Kitano immerge surtout le spectateur dans le milieu des yakuzas. N’étant pas du genre à sublimer la violence pour en faire l’apologie, il décrit simplement la réalité d’un milieu régi par des règles antinomiques. D’un côté, la façade propre à la culture japonaise : la politesse, le respect des traditions et des règles, la loyauté et le dévouement envers ses supérieurs et son clan, la primauté du groupe sur l’individu. De l’autre, toutes les caractéristiques d’une mafia : intimidation, corruption, violence, réglement de compte, lutte de territoire et de pouvoir, manipulation et complots en tous genres…

Outrage
différe des anciens « yakuza eiga » (genre de film très populaire qui relate la vie et les relations de la mafia japonaise) tels que Guerre de gang à Okinawa (Kinji Fukasaku, 1971) ou Tokyo Drifter (Seijun Suzuki, 1966) en ce sens qu’on n’y retrouve pas le même esprit chevaleresque et romantique, héritage de la philosophie samourai. Ici, les yakuzas sont des brutes sanguinaires n’ayant qu’un seul objectif : tuer pour toujours plus de pouvoir. Pour eux, la mort est loin d’être un moyen pour laver un éventuel honneur, seulement une fatalité à laquelle on devra faire face un jour ou l’autre, et de manière violente qui plus est. S’entourant d’un casting de renom, Kitano réussit donc son retour au film de yakuzas, genre qui par le passé lui avait assez bien réussi (Sonatine…). Fidèle à lui-même quant à une réalisation toujours aussi simple et dénuée d’effet de style, il montre qu’après vingt ans de cinéma, le grand maître japonais arrive encore à se renouveler, tout en gardant les bases qui ont fait son succès et son talent.

Pour finir, une citation résumant l’esprit du Bushido (le code de conduite du samourai), qui imprègne profondément la société japonaise et peut éclairer sur la fascination envers la mort que l’on retrouve chez les yakuzas :

« Bushido signifie la volonté déterminée de mourir. Quand tu te retrouveras au carrefour des voies et que tu devras choisir la route, n’hésite pas : choisis la voie de la mort. Ne pose pour cela aucune raison particulière et que ton esprit soit ferme et prêt. Quelqu’un pourra dire que si tu meurs sans avoir atteint aucun objectif, ta mort n’aura pas de sens : ce sera comme la mort d’un chien. Mais quand tu te trouves au carrefour, tu ne dois pas penser à atteindre un objectif : ce n’est pas le moment de faire des plans. Tous préfèrent la vie à la mort et si nous nous raisonnons ou si nous faisons des projets nous choisirons la route de la vie. Mais si tu manques le but et si tu restes en vie, en réalité tu seras un couard. Ceci est une considération importante. Si tu meurs sans atteindre un objectif, ta mort pourra être la mort d’un chien, la mort de la folie, mais il n’y aura aucune tache sur ton honneur. Dans le Bushido, l’honneur vient en premier. Par conséquent, que l’idée de la mort soit imprimée dans ton esprit chaque matin et chaque soir. Quand ta détermination de mourir en quelque moment que ce soit aura trouvé une demeure stable dans ton âme, tu auras atteint le sommet de l’instruction du bushido. »

Bushido Shoshinshu de Taira Shigesuke, autour de 1700.

le Joker

Titre original : Autoreiji

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Durée : 109 mn


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