Notre musique

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Aborder un film de Godard n’est jamais chose facile car ses longs-métrages sont discontinus, philosophiques et hors du langage conventionnel, mais tellement intelligents. Notre Musique n’échappe pas à la règle. Ce long métrage de 2003 est novateur, atypique, perturbant et violent. Structurant son œuvre comme l’a fait Dante avec la Divine Comédie, trois étapes permettent […]

Aborder un film de Godard n’est jamais chose facile car ses longs-métrages sont discontinus, philosophiques et hors du langage conventionnel, mais tellement intelligents. Notre Musique n’échappe pas à la règle. Ce long métrage de 2003 est novateur, atypique, perturbant et violent.

Structurant son œuvre comme l’a fait Dante avec la Divine Comédie, trois étapes permettent de voir notre monde, son passé, son présent, et de tenter de sauver son avenir. « Le Royaume 1-L’enfer » télescope des images de massacres ; « le royaume 2- Le Purgatoire » se déroule aujourd’hui à Sarajevo et suit des personnages réels comme imaginaires ; et enfin, « Le royaume 3- Le Paradis » montre une jeune femme qui, s’étant sacrifiée, trouve la paix aux bords d’une plage gardée par des Marines.

En guise d’introduction, Godard a monté une série d’images ayant pour point commun la destruction d’un peuple. Les images des camps d’extermination, de conquêtes militaires prussiennes mais aussi les invasions américaines de ces dernières décennies se succèdent à un rythme effréné et violent. L’horreur et l’atrocité qu’on ressent sont aussi perçues par la voix-off d’une jeune fille au ton austère : « Comment peut-il y avoir des survivants ? ».

Une seconde partie nous emmène sur un tout autre chemin, mais pas si éloigné qu’il n’y parait. Des traces indélébiles de la technique documentaire et du thème principal restent. Godard brouille les pistes et contourne les frontières des genres : sommes-nous dans une documentaire ou une fiction ? Dans un témoignage ou un reportage ? On est rapidement perdu mais peu importe, là n’est pas l’essentiel. On jongle de Homère à Bernadette Soubirou, en passant par une photo d’un village de Virgnie dévasté et par une citation de Phèdre et de Rimbaud. Le foisonnement des personnages est aussi source de confusion : par exemple, un couple d’indien s’invite dans le cadre pendant qu’un espagnol parle. Aucun personnage n’est présenté mais tous sont reconnaissables par leur langue et leur singularité. Ce n’est pas le nombre qui compte mais leurs voix qui se regroupent en une. Lourde, grave, limpide et assurée, anglaise ou française, cette voix est en quête de compréhension et de solution pour tisser un lien entre passé et avenir. Mais comment les unir ? Le réponse semble être derrière et devant la caméra : Jean-luc Godard. Initiateur du film, il se met en scène, intervenant au cours d’une conférence sur la puissance des images. On a l’impression qu’il passe le relais aux étudiants présents et à son héroïne dont le but est de faire un reportage sur le conflit Palestino-israélien. Le cinéma a aussi ce pouvoir : de mémoire, de sauvegarde.

Bien que discontinu et complexe, Notre Musique est perturbant, violent et en même temps beau et humaniste. Le réalisateur parvient à montrer les horreurs passées et les combats à venir grâce aux faits d’actualités et à l’héritage culturel de chaque civilisation. Mais le résultat reste révoltant, à l’instar des unes des journaux internationaux titrant chacun un article sur une guerre différente. Se concluant sur une référence à des Adam et Eve contemporains, la morale semble être le retour à un état primitif où le je et l’autre pouvait se côtoyer sans haine et sans violence.

Pour reprendre les paroles d’un des personnages, Jean-Luc Godard nous invite non pas à une conversation juste mais juste à une conversation, à une entremêlement de voix qui forme Notre Musique.

Titre original : Notre musique

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Durée : 80 mn


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