Muksin

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Yasmin Ahmad, parvient à dresser aussi un portrait de son pays, à forte tendance musulmane, sans porter de jugement et toujours en demi-teinte, s’intéressant surtout à ses deux jeunes protagonistes, magnifiquement mis en scène dans leur candeur, leur humanité et leur tendres liens.

La Malaisie, ce pays asiatique qui a connu récemment une révolte populaire lourdement réprimée, ne nous donne que peu de films. Raison de plus pour courir voir celui-ci, petit bijou de tendresse qui, par la photo et le décor naturel fait penser bien sûr au thaïlandais Apitchatpong Weerasethakul, mais sans prise de tête ni lente descente vers la solitude intérieure. La commission de classification des œuvres cinématographiques précise d’ailleurs que le film est visible par tout public à partir de 8 ans, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, surtout que Muksin, du nom du personnage principal, raconte une histoire d’amitié amoureuse entre deux préados dans un village malais retiré.

Outre le côté ethnologique du film, on aimera bien sûr y constater que, dans tous les pays du monde, les humains vivent toujours en groupe et que le voisinage n’est jamais tendre. Intérieurs de maisons si particulières, forêts denses, arbres omniprésents, familles traditionnelles et familles différentes, la réalisatrice, Yasmin Ahmad, parvient à dresser aussi un portrait de son pays, à forte tendance musulmane, sans porter de jugement et toujours en demi-teinte, s’intéressant surtout à ses deux jeunes protagonistes, magnifiquement mis en scène dans leur candeur, leur humanité et leur tendres liens.

Yasmin Ahmad déclare d’ailleurs s’être inspirée d’un poème pour composer son film : « Le point de départ de ce film est un poème intitulé First Love où il est dit que le premier amour est souvent moins tumultueux et passionné que les suivants, mais que c’est pourtant celui dont on se souvient toute sa vie. » En racontant l’histoire de la jeune Orked, élevée par des parents libéraux qui la laissent même jouer au ballon, et du jeune Muksin dont les parents connaissent quelques problèmes, la jeune cinéaste en profite pour nous faire plaisir en montrant la nature, mais aussi les gestes de tous les jours, dans le quotidien d’un village malais où tout semble si calme, et où pourtant tout vit, tout vibre en attente du bruissement de l’amour et de la tendresse.

Quelques scènes sont inoubliables de poésie, comme si en rendant hommage à un poème, Yasmin Ahmad, figure de la nouvelle vague malaisienne, composait elle-même un beau poème à l’enfance et à l’amour universel. Par petits traits quasi impressionnistes comme le vol du cerf-volant, la Vespa rouge du voisin, la danse sous la pluie, etc., elle brosse de son pays un tableau très délicat qui ne fait fi ni de l’émotion, ni de la violence qui peut aussi surgir à tout instant.

C’est dire que, pour un film visible aussi par des enfants, elle n’a pas réalisé une œuvre gnangnan. Au contraire elle navigue au cœur même de l’émotionnel universel, surtout lorsque, au hasard d’une soirée disque à la maison d’Orked, elle nous propose d’écouter le standard Ne me quitte pas génialement interprété par Nina Simone qui prend toute son ampleur mélancolique dans cette petite jungle où Muksin, après sa brouille avec Orked, l’espère en vain dans sa nuit avant de quitter pour toujours le village. Il ne la reverra pas mais, longtemps après, à nos oreilles résonnera cette chanson d’amour triste.

Titre original : Mukhsin

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Durée : 94 mn


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