A partir du 5 septembre, et jusqu’au début de l’an prochain, sur Tenk (la plateforme du documentaire), carte blanche est donnée à Mathieu Amalric pour mettre en avant ses documentaires « coup de cœur ». Parmi les cinq qu’il a sélectionnés, trois d’entre eux nous ont proprement bouleversés. Il s’agit des trois films de Dominique Cabrera. Une réalisatrice dont le militantisme s’accompagne d’un questionnement permanent. Une portraitiste exceptionnelle : l’acuité du regard associée à une sensibilité d’une grande pudeur.
Dominique Cabrera : Ici la-bas (1988), Réjane dans la tour (1993), Une poste à la Courneuve (1994).

Ici la-bas.
« Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ». Cette célèbre réplique d’une scène de La règle du jeu, objet d’un court insert dans Ici la -bas, fait office de profession de foi pour la documentariste Dominique Cabrera. Dans Ici la-bas, sur la guerre d’Algérie, un sujet d’autant plus sensible qu’il la concerne directement, en tant que pied-noir, Dominique Cabrera interroge ses parents sur leur attentisme, pour ne pas dire leur aveuglement volontaire sur la colonisation d’un peuple. Sans jamais les juger, elle écoute la perception d’une « réalité ». Des mots durs à entendre, mais liés à une perception du monde d’un autre temps. Un jeu de miroir dans lequel la réalisatrice se remet également en question. Le présent et le passé se superposent, le réel et l’imaginaire ; la mise en scène, minimaliste et inventive, joue des objets (carte de France), e. Un témoignage fort et sensible.
En filigrane dans Ici la-bas, le déterminisme social sert de fil conducteur au portrait de Réjane. Dans la tour, la dame de ménage au visage émacié commence par décrire le quotidien dans lequel elle ne sent pas forcément malheureuse, pour aborder ensuite les étapes plus douloureuses d’une enfance et d’une jeunesse durant lesquelles son entourage ne l’a pas épargnée. Dans un ascenseur, dans les couloirs de l’immeuble Réjane n’a pas d’autre porte de sortie que les souvenirs et les espoirs, et d’autre exutoire que la parole. Devant la caméra invisible de Dominique Cabrera, un visage sort de l’ombre, une âme se met à nue, sans aucune sensiblerie.

Réjane dans la tour
Mue par son désir de proximité avec les interlocuteurs la caméra sait rester à distance des visages. Plus largement, la distance prend la forme d’un isolement. Dans sa tour Réjane ne croise personne. Occuper un même lieu mais sans se connaître, se comprendre, une thématique au cœur de l’œuvre de Cabrera. Ainsi, si proche et pourtant si loin sont les membres du personnel et les usagers de Une Poste à la Courneuve. Bunkerisés derrière leur vitre en plexiglas, les employés rient entre eux, s’agacent parfois, mais sont le plus souvent de constater leur impuissance face au désarroi de ceux qui viennent quémander quelques francs pour pallier aux urgences du quotidien. Face à eux, les usagers implorent, menacent, s’agitent en vain. La mise en scène de Dominique Cabrera ne réunit jamais dans le même cadre ces deux strates de la société, qui auraient pourtant tant de points communs, tant de moments à partager. Mais, si l’échange est impossible et que chacun reste dans sa position : « c’est que tout le monde a ses raisons ».
Autres films de la sélection :
Puisque nous sommes nés (Jean-Pierre Duret et Andrea Santana).
On pense au Voleur de bicyclette de De Sica et au Kid de Chaplin pour ce portrait d’ « enfants-adultes ». Très tôt confrontés à la misère d’un Brésil dont les politiciens martèlent les forces et vendent une réussite pour chaque citoyen qui le désire. Jean-Pierre Duret et Andrea Santana croient au libre arbitre de ces deux gamins. Rien de nouveau sur l’état du pays mais un récit aussi prenant – mais jamais larmoyant ni condescendant- que ceux de Walter Salles, Central do Brasil, en particulier. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce beau documentaire.
Les films rêvés (Éric Pauwels),
Éric Pauwels nous convie à un long voyage dans son univers, où se mêle le réel : les rencontres avec Jean Rouch (auquel il rend un vibrant hommage), des amis : des inconnus qui méritent d’être célébrés pour leur entièreté., et l’imaginaire avec l’évocation de films qu’ils auraient rêvés de mettre en image. Si le périple réserve de beaux moments d’émotion et de sensualité, une tendance à la répétition se fait pesante par moment. De plus, la dimension moralisatrice, dénonciation de l’Homme Blanc comme responsable de tous les maux n’ajoute rien à sa démonstration.
Sur Tenk en partenariat avec Documentaire sur grand écran.Les films sont disponibles avec la formule d’abonnement
De plus, trois projections exceptionnelles se tiendront au cinéma l’Archipel (Bd de Strasbourg 75010), toutes en présence de Mathieu Amalric :
- Le 9 septembre à 19h30 – Les Films rêvés d’Éric Pauwels.
- Le 13 octobre à 20h – Puisque nous sommes nés en présence des réalisateurs Jean-Pierre Duret et Andrea Santana.
- Le 3 novembre à 20h –.Soirée Dominique Cabrera, en sa présence.




